J’étais concentrée sur mes objectifs personnels et professionnels, le besoin de passer à autre chose parce que le temps était venu d’accrocher le wagon d’une existence choisie, lorsque tu m’as écrit. J’en étais là, où ma foi, nous passons tous, plus ou moins tôt, plus ou moins longtemps, avec plus ou moins de succès, lorsque j’ai reçu ton message.
Je voulais le métier de mes rêves, le compte de mes rêves, le corps de mes rêves, la maison de mes rêves, la vie de mes rêves lorsque tu as posté ce commentaire. Très mignon ton message, comme souvent dans ces cas-là, au moment de l’approche : quelques détails d’introduction, de la timidité, de la réserve plutôt, celle qui est tienne lorsque tu ne maîtrises pas le terrain que tu pratiques, l’intention de rester maître du temps, de l’espace et de l’intention, une autre partie de ce que tu es, un peu de ce qui m’a charmé et qui me fait encore sourire.
J’aime les mâles, les durs, ceux qui enrobent leur sensibilité. Ceux qui ne la chuchote que dans l’intimité. Ceux dont la rigidité se fissure sous la pression d’une caresse ou d’un sourire. J’aime les mâles, avec la panoplie complète, poils et odeurs compris. Ceux qui en font des caisses, précisément parce que c’est tout doux à l’intérieur.
Tu es tout cela. Tout cela se lisait. Tu m’as donc contactée. Tu m’as écrit et j’ai répondu.
« Il faut un certain courage, ai-je fini par conclure, pour aborder quelqu’un à l’issue d’une réunion, sur un trottoir, dans le bus ou le métro, hors ‘contexte’ et en public, dans la vraie vie… »
Les réseaux sociaux, même quand ils sont professionnels, sont devenus de véritables clubs de rencontre, ce dont j’ai longtemps été choquée.
J’ai longtemps été choquée de ce que 90% des personnes qui souhaitent intégrer mon réseau professionnel soient des hommes aux profils complètement éloignés du mien, toujours ‘chef’, ‘CEO’, ‘Directeur’, à ma disposition ‘en cas de besoin’. Il faut un certain courage, ai-je fini par conclure, pour aborder quelqu’un à l’issue d’une réunion, sur un trottoir, dans le bus ou le métro, hors ‘contexte’ et en public, dans la vraie vie, une personne que l’on ne connait pas. Un certain statut social semble en donner un peu. Pour le reste, nous avons à peine le courage de nos ambitions, à peine le courage de nos envies, à peine celui d’interroger nos actions, nos peurs, d’exprimer nos impressions, nos attentes surtout lorsqu’elles ne sont pas conformes à la norme de rigueur alors celui de se confronter aussi brutalement à l’autre. Les réseaux sociaux sont un sas de décompression.
Sur ce réseau-là, inutile de me proposer un verre, s’il ne s’agit pas de boulot : il y a des sites de rencontres, des réseaux pour blaguer, d’autres pour draguer ET des réseaux professionnels, merci de ne pas tout mélanger. Pour contrer cet état de fait, tu as cherché et trouvé le biais: commenter un de mes articles.
Bien joué.
Nous avons échangé nos vues, un jour, deux, un autre puis décidé de poursuivre la discussion dans la vraie vie, autour d’un verre.
« La réponse à ma question, me semblait la base de ce qui adviendrait ensuite puisqu’il adviendrait quelque chose… »
Faut-il se souvenir de chaque détail de la première rencontre pour conforter l’idée que l’on entame une relation marquante ? Est-ce qu’après coup, je le trouve mieux, ce premier rendez-vous, qu’il ne l’a été ou l’était-il vraiment, bien, ce moment ?
S’il ne l’avait pas été, je crois que nous n’en serions pas là.
Le temps était court. Il te fallait faire bonne impression (révélation postérieure). Ce n’était pas nécessaire : j’espérais simplement que quelque chose passe. J’avais prémédité qu’il se passerait quelque chose, quel que soit ce quelque chose. J’avais décidé d’un ‘nous’ avant même de savoir qui tu étais. Je ne savais de toi que ce qui était inscrit sur ton profil, ce que j’avais lu de toi. Je ne te connaissais donc pas mais c’était suffisant pour conforter l’idée que j’avais – déjà – de nous. M’impressionner n’était pas nécessaire. Le physique n’ayant aucune espèce d’importance – il n’en a jamais eu, il n’en aura sans doute jamais – l’essentiel, toi, ton attitude, la réponse à ma question, me semblait la base de ce qui adviendrait ensuite puisqu’il adviendrait quelque chose.
Quelle question ? Pourquoi avais-je donc accepté de te rencontrer, aussi rapidement, aussi simplement ?
Je n’ai rien ressenti en te voyant. Ni surprise, ni coup de foudre. Rien de particulier. Juste un sentiment d’aise immédiat. Je n’ai même pensé, comme à mon habitude, qu’il s’agissait d’un signe. J’étais là, mais en observatrice, je crois. Au moins un peu, comme toujours. Nous nous sommes salués. Nous sommes installés. Nous avons commandé un verre, le même, un cigare, nous l’avons partagé et nous avons parlé. De toi, de moi, de la vie, nous avons parlé. Nous avons bu. Nous avons été clairs d’emblée sur nos intentions. Elles étaient divergentes mais nous n’y avons peut-être pas suffisamment prêté attention. Nous avons pris un autre verre. Nous avons beaucoup ri. Nous étions détendus. Nous avons fumé encore, parlé encore. Puis nous nous sommes séparés.
La politesse imposait un message de remerciement. Nous avons respecté les convenances.
Qu’est-il resté de cette soirée ?
Cette première fois ne fut pas le moment de notre rencontre, selon moi. Le fut-elle selon toi ? Oui, à ce que tu m’as dit, mais je ne te crois pas. J’avais oublié – j’y repense maintenant, avec beaucoup de tendresse – la simplicité de nos échanges, ce soir-là. Il y aurait quelque chose, tu l’avais décidé. Tu avais prémédité quelque chose également.
Quoi ?
Cela restait à définir. En fonction. En fonction de la rencontre. En fonction de ce que je me montrerai prête à accepter. En fonction d’un éventuel second rendez-vous. Relation scellée. De part et d’autre.
(…)