Avant toi, je ne me rappelle pas beaucoup d’hommes avec lesquels, j’ai véritablement choisi d’être. Ce fut plutôt le contraire. Ils voyaient, venaient, proposaient, prenaient. Je me laissais porter jusqu’à ce que cela devienne compliqué, jusqu’à ce qu’il devienne flagrant que cela ne fonctionnerait pas. Alors, je m’en allais. Oh, je sais que ce n’est pas bien, qu’il faut choisir sa vie, décider. Il faut construire, à mesure que l’on avance. Il faut faire comme ça, si l’on veut y arriver.
Je ne sais pas ce que je veux. Je ne veux rien de particulier. Je n’attends rien de particulier des autres. Je trouve épatant de savoir précisément avec quel type de personne on veut faire sa vie. Épatant la capacité de s’y tenir. Cela signifie être tellement ferme, tellement figé, tellement sûr de ce que l’on est. Tant de certitude me semble inconcevable.
Je ne sais absolument pas quel type de partenaire je souhaiterais dans la vie ni dans quelle ville je souhaiterais vivre. Celle où je réside actuellement me sied. Elle répond à certaines de mes attentes, pratiques, personnelles mais je ne la ressens pas comme l’endroit où je veux passer le reste de mes jours. Existe-t-il cet endroit ? Probablement. Mais comment pourrais-je le reconnaître sans avoir traversé ne serait-ce que la moitié des villes du pays, du monde, s’il ne fallait pas se limiter ?
Je ne sais pas draguer. Je ne sais pas séduire. J’ai la chance d’être agréable à regarder, cela simplifie pas mal de choses. Pour le reste, en matière d’hommes – puisque c’est vers eux que se porte ma préférence – je me laisse porter.
Est-ce une drôle de rencontre pour une histoire ?
Impossible, par exemple, de dire quelle est ma couleur préférée : cela dépend des jours, de la météo. Idem pour mon plat, préféré, mes fleurs préférées. Cela dépend. Rien n’est figé. Je me laisse porter. J’étais prête pour cela : accepter ce qui passerait. Mieux : j’y étais disposée. Voilà pourquoi je t’ai répondu, pourquoi nous avons échangé avec autant de simplicité : parce que j’y étais disposée. Parce que j’en avais envie. Nous nous sommes donc rencontrés une seconde fois – inénarrable seconde fois -, une fois de plus, cette troisième fois qui, pour moi, fut décisive…
Est-ce une drôle de rencontre pour une histoire ?
Jeanne a rencontré Marc sur Tinder. Ils ont vite bu un verre, se sont plus, se sont vite revus. Marc est en instance de divorce. Ils se sont vus une fois de plus et ont décidé d’engager une histoire. Puis Marc a rencontré la fille de Jeanne. Ils ont sympathisé. Elle ne pouvait pas rencontrer ses amis, son entourage : il était trop tôt. Il a passé quelques jours chez elle. Cela a été très agréable.
Dés leur première rencontre, ils savaient qu’il se passerait quelque chose, raconte-t-elle. A la seconde, ils savaient que ce serait compliqué. La troisième n’en a pas moins précédé de la quatrième à laquelle a succédé la suivante. Marc vit actuellement dans son ancien logement avec son ancienne compagne. Le divorce est compliqué. Elle pose des problèmes. Elle résiste. Il doit subir cette situation. C’est ce qu’il lui dit. Jeanne le croit. Jeanne comprend : il a besoin de temps. Marc s’est inscrit sur un réseau spécifiquement dédié aux rencontres amoureuses, certes « plus réputé pour permettre des rencontres éphémères que pour dégoter son futur mari » (Terra Femina, juin 2017) mais un réseau de rencontre tout de même. Il semble donc disposé. C’est ce que signifie l’inscription sur un site de rencontre. Ce que signifie également l’empreinte qu’il inscrit dans la vie de Jeanne. Il lui a susurré les mots sucrés susceptibles de l’apaiser, d’assurer l’aise qui s’installait. S’il ne l’avait pas fait, immanquablement, Jeanne aurait pris la poudre d’escampette.
Mais Marc était-il prêt ?
Celui qui allume une flamme, sans vérifier les risques de son geste, au risque de provoquer un incendie dévastateur…
Si nous n’en sommes pas restés à la première rencontre, c’est que nous l’avons voulu. Si nous nous sommes rencontrés ensuite, si nous nous sommes ouverts l’un à l’autre, si nous avons ri ensemble, déjeuné ensemble, dîné ensemble, dansé ensemble, c’est que nous l’avons voulu. Tous les deux. Il est passé une chose entre nous qui nous faisait du bien à tous les deux, qui nous donnait respectivement envie d’être ensemble de nouveau.
Appelons cette chose « étincelle », tu veux bien ?
Pour mûrir, cette étincelle a besoin d’être entretenue. L’entretenir passe par de nouvelles rencontres. Dés lors que l’on a choisi de la nourrir – on se rencontre, on se rencontre de nouveau donc on nourrit -, l’étincelle devient un feu qui grandit. Pour ce faire, il a besoin d’un terrain propice, de conditions propices (des sourires, des confidences, des câlins, des moments ensemble). Celui qui allume une flamme, sans vérifier les risques de son geste, au risque de provoquer un incendie dévastateur est un pyromane. Dans le meilleur des cas, c’est un malade. Dans le pire, un criminel.
Nous nous sommes amusés ce soir-là. J’aurais aimé que nous passions plus de temps ensemble, que nous poursuivions la soirée ailleurs. Je m’étais arrangée en conséquence. Tu avais des obligations qui t’interdisaient de rentrer trop tard. Rendez-vous pris, tu disposais de deux, trois heures, pas plus. Tu avais des obligations. Il ne pouvait en être autrement. Te laisser porter par l’instant, laisser faire les choses n’était pas prévu. Un temps m’avait été imparti.
Il est passé une chose entre nous qui nous faisait du bien à tous les deux, qui nous donnait respectivement envie d’être ensemble de nouveau.
Appelons cette chose « étincelle », tu veux bien ?
Pour mûrir, cette étincelle a besoin d’être entretenue. L’entretenir passe par de nouvelles rencontres.
Passé l’infime moment de gêne après la découverte, nous avons ri. Nous nous sommes racontés. Des détails puisque nous ne savions pas encore que nous n’étions d’accord sur rien ou presque : la politique, l’économie, la déco, le cachemire, la conduite, le temps qu’il fait, le temps qui passe. Nous ne savions pas que ces désaccords nous feraient beaucoup rire. Nous ne savions pas qu’ils seraient même l’essence de notre relation.
Nous nous sommes revus des dizaines de fois ensuite. Nous avons discuté. Nous sommes disputés. Nous nous sommes séparés.
Etais-tu prêt ?
Si tu ne l’étais pas, pourquoi diable as-tu envoyé ce message ? Si tout avait été si clair dès le début, dès cette première rencontre, pourquoi il y en a-t-il eu une seconde ?
J’avais décidé qu’il y aurait quelque chose.
Tu avais décidé qu’il y aurait quelque chose.
Marc a décidé qu’il y aurait quelque chose.
Jeanne aussi.
(…)