Pleurer d’amour, jamais de chagrin: La beauté (2)

Oh, je sais bien que je ne devrais plus me poser la question mais je me la pose quand même. Sans doute parce que j’espère que tout cela n’a pas été vain. Sans doute parce qu’aujourd’hui encore, j’en cherche le sens. Sans doute parce que je continue de croire qu’il y aurait eu matière à bâtir si, faible de tant de préméditations, l’un des composants de cet improbable agrégat, n’avait pas été vicié par son manque d’ambition, de  liberté, par son manque de foi et d’honnêteté.

Il me vient encore à l’esprit des moments tellement emplis de lumière, où il aurait suffi de se laisser percer pour qu’ils explosent et deviennent de véritables bonheurs.

« J’aurais dû comprendre, j’ai préféré attendre ».

Ces ‘presque-bonheurs’ étaient le signe de quelque chose.

Je me souviens te l’avoir fait remarquer. Laisse-toi faire, laisse-toi aller, laisse-toi porter, je disais. Ton regard se perdait dans le vide. Tu t’éloignais immanquablement. J’aurais dû comprendre, j’ai préféré attendre. Te donner une chance. Nous donner une chance. Je me suis contentée, un temps, de ‘presque-bonheurs’, mais il vient vite le moment où cela ne suffit plus, le  temps où l’absence d’air pur étouffe. Ce temps où le choix devient simple : fuir ou mourir et perdre en beauté. Or, la beauté, nous y avons tous droit. Personne n’est interdit de beauté, de bonheur.

« La beauté, c’est l’harmonie du hasard et du bien. Le beau est le nécessaire qui, tout en demeurant conforme à sa loi propre et à elle seule, obéit au bien »

(Simone Weil, La pesanteur et la grâce).

Personne n’y a plus droit qu’un autre.

S’il en est qui la touchent plus souvent, c’est parce qu’ils ont décidé de s’y ouvrir. Ils refusent, rejettent, repoussent tout ce qui bloque l’accès à la lumière, au bonheur, à la beauté. Ils acceptent, recherchent, réclament et partagent cette poésie de l’univers. Ceux de ta race la capte,  pour leur propre compte, pour n’en rien faire. Ils en sucent la substance, aspirent les espoirs qui en découle, se complaisent à l’observer s’amenuiser, s’interpellent même de la décrépitude occasionnée, puis rejettent la faute sur cet autre, essoré, sur sa/ses faiblesses, ses défauts, ses manques, ses manquements, ses lacunes, ses illusions. Ceux de ta race s’en vont lorsqu’il ne reste plus rien.  Et dehors, désappointé par pareille dégénérescence, ‘le monde’ s’appliquera à pointer du doigt la « pauvre » victime, celle qui n’aura pas « fait attention à ses fréquentations », celle qui, « trop gentille », aura « trop donner », celle qui fragile – la chose est de notoriété publique. Elle est d’ailleurs inscrite sur son visage, sa manière de parler, sa douceur en toute circonstance – se sera, une fois encore « faite avoir », « laissée abuser ».

Sa faute.

Pas celle de celui qui l’a abusée.

Sa faute.

Mieux : on enfermera le coupable dans un concept.

Pervers.

Pervers narcissique.

Etc.

Et, ce faisant, on lui ôtera la responsabilité qui est la sienne : celle d’être venu, d’avoir vu, d’avoir vaincu.

On oubliera la préméditation.

Ce n’est pas de sa faute : il est malade.
(Et qu’est-ce qu’il y a de malades!)

Il a souffert !

Il souffre encore !

Et puis voilà…

Voilà comment l’égoïsme des uns passe à la trappe et la gentillesse, la sensibilité des autres est déplorée au mieux, au pire, blâmée.

« L’honnêteté, le courage, la lumière, la beauté sont dans la vérité de la relation que l’on installe, que l’instille, que l’on initie ».

Pourquoi ceux qui n’ont rien de bon, de beau ni de lumineux à partager ne conserveraient-ils pas pour eux  leur obscurité plutôt que d’en éclabousser les autres ?

Pourquoi ceux pressentent que s’épuise en eux la beauté n’éviteraient-ils pas de polluer la quête d’air et de lumière des autres ? Ou alors, pourquoi ne pas s’ouvrir véritablement, honnêtement ? Et expliquer, dés le départ, avec clarté, qu’ils ne peuvent pas, qu’ils ne savent pas comment la dépasser cette obscurité, qu’ils ont besoin d’aide, pour éviter de blesser. S’expliquer. Expliquer. Clairement. Et s’assurer que le message est bien passé. S’il est passé et qu’il semble n’avoir pas été correctement entendu, s’exposer à être taxé de lâcheté et fuir. Et laisser l’autre en paix. Pour ne pas le blesser. Par dignité. Parce que l’on se fout bien de l’enfance, de l’éducation, de la souffrance passée : abuser de la faiblesse, de la sensibilité, de la crédulité, de la naïveté, de la gentillesse est un délit, aggravé par la préméditation, puni d’ombres de toutes sortes…

« Le courage, c’est de nommer un chat un chat et d’intégrer son statut de salaud lorsque l’on abuse l’autre ».

L’honnêteté, le courage, la lumière, la beauté sont dans la vérité de la relation que l’on installe, que l’instille, que l’on initie. L’honnêteté, c’est dire, aussi tôt que possible, ce que l’on veut, où l’on veut aller. C’est accepter ensemble les souffrances, les partager, non pas les imposer, pour afficher ensuite une excuse à son irresponsabilité. Le courage est dans la responsabilité. Il est dans le respect de l’autre, le respect absolu de l’autre, dans ses forces comme dans ses faiblesses. Le courage, c’est de nommer un chat un chat et d’intégrer son statut de salaud lorsque l’on abuse l’autre.

Le courage, c’est s’écarter pour laisser à l’autre le champ/le choix d’emplir sa vie de la beauté que l’on est incapable de lui apporter. Le courage, disait Maya Angelou, est la plus importante de toutes les vertus.

Sans elle, toutes les autres sont sans consistance.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s