Pleurer d’amour, jamais de chagrin – Épisode 6 – La séparation

Dans Dernier tango à Paris (Bernardo Bertolucci, 1972), lui, incarné par Marlon Brando, pleure sa femme. Elle s’est suicidée dans une chambre d’hôtel, sans qu’il ne sache pourquoi. Il revient sur les lieux. Il ne comprend pas. Il nettoie les murs, la baignoire, les robinets. Il ne comprend pas. Sa femme avait un amant. Il le rencontre, l’interroge, le détaille, le méprise : il ne comprend pas.

« Il ne comprend pas »

Pourquoi lui ? Pourquoi l’a-t-elle quitté ? Pourquoi aussi violemment ?

Il ne comprend pas. Il ne s’interroge pas sur son être non plus. Il erre, plutôt, dans la ville, Paris. Il y traîne sa souffrance, traverse les endroits où ils ont vécu pour y jeter sa tristesse et humer les restes de l’existence passée, si brusquement interrompue.

Il ne veut plus rien.

Pas même savoir son nom à elle, elle qui, un beau jour, perdue dans ses propres errances, capricieuse, désinvolte, vient visiter l’appartement, celui où il enferme sa peine. Elle, incarnée par Maria Schneider, légère, vaguement actrice, jouant niaisement un rôle, celui de sa vie, dans un film dirigé par un jeune cinéaste aussi haut perché, son compagnon, l’autre, la jeunesse, l’alternative, l’adoration sans résistance ni soubresauts.

« Il ne désire rien de plus que s’enfoncer en elle pour y ensevelir son désespoir. Pas même savoir son nom… »

Elle visite cet appartement, donc. Elle le voit, lui parle, parle à un mur, un mur de souffrance.
Un beau jour, il se jette sur elle, sur son corps. Il ne désire rien de plus que s’enfoncer en elle pour y ensevelir son désespoir. Il ne désire pas même savoir son nom. Elle n’est qu’un exutoire. Elle n’est qu’un réceptacle, qu’un passage. Elle n’est rien. Elle accepte, se laisse faire. Elle se laisse happer, au gré des jours par son histoire trouble et le mystère qui entoure cet homme plus âgé, troublant, tellement beau dans sa solitude, dans sa souffrance. Elle se laisse emporter dans une histoire glauque à laquelle elle tente de donner sens, beauté, douceur. Son nouveau rôle est de satisfaire son plaisir, de répondre à son plaisir, de s’offrir.
Elle le joue.

« Avec lui, elle s’envole, elle s’échappe, elle vit enfin, du moins le croit-elle »

Ne rien attendre. Ne rien demander. Ne rien savoir.

Ses caresses l’emportent si loin qu’il lui faut se rouler au sol pour retrouver ses esprits, le sens de la réalité après leurs ébats. Avec lui, elle s’envole, elle s’échappe, elle vit enfin, du moins le croit-elle. Et cela dure. Et le mystère s’épaissit. Elle tombe amoureuse, du moins le croit-elle. Elle le lui crie. Il reste sourd, enfermé dans sa peine. Elle tente bien de partir, de se libérer, de reprendre le contrôle de son existence, de quitter le jeu, elle n’y arrive pas. Il lui manque. Elle s’accroche.
Quand enfin, un jour, une lueur perce la brume du mystère, quand, sur un air de tango, il se révèle n’être qu’un homme sans grande ambition, asocial, aveugle à lui-même, aveugle tout court, incapable d’entendre les désirs de l’autre, quand enfin elle comprend, elle s’enfuit. Elle court. Elle s’échappe.

Il la poursuit.

Elle ne veut pas être enfermée à son tour. Elle ne veut plus. Il ne veut plus qu’elle. Il l’aime. Il en est sûr. Il la pourchasse. Il a trouvé un nouvel antre, une nouvelle ancre, un nouvel ancrage. Mais plus rien n’est possible : elle a compris. Alors elle court. Elle s’enfuit, se réfugie chez elle. Il force la porte, se déclare encore, la supplie. Elle ne veut pas. Elle ne veut plus. Elle l’implore de partir. Il ne comprend pas. Il insiste, sûr de lui, de son bon droit, du lien qui les lie, de la force qui est la sienne. Il insiste et insiste encore. Elle le tue.

« Mieux vaut ne pas être aimée que de l’être mal… »

Il n’est pas inutile de rappeler qu’avoir la « faiblesse » de croire en l’autre n’est pas une tare. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il y a aucune force à en abuser, qu’il n’y a aucune force dans le fait de supporter, coups après coups, de l’être. Il n’est pas inutile de s’ouvrir à l’autre, de comprendre. Il n’est pas inutile de se remettre en question, de s’interroger, de ne pas insister, persister. Il n’est pas inutile de questionner son rapport à l’autre, son besoin de domination, physique, intellectuel, émotionnel, sentimental. Il n’est pas inutile d’accepter d’être un salaud lorsqu’il s’avère que tel est le cas, de le reconnaître.

« C’est un fou. Il m’a suivi jusque chez moi. Je ne connais pas son nom. C’est un fou. Il voulait me violer. Je ne connais pas son nom. C’est un fou…« 

Elle regarde, hagarde, la caméra qui tourne, approche, s’éloigne, en répétant :« C’est un fou… Il voulait me violer… ». Le film s’arrête.

Il voulait la violer.

Il voulait prendre possession d’elle, l’abuser, la posséder. Elle, une chose sans valeur, une chose dont il avait besoin pour tester sa force.

« C’est un fou… Il voulait me violer ».

Le film s’est arrêté. Ce n’est qu’un film. Mais toi, quand t’arrêteras-tu ? Quand arrêteras-tu de tourner ? Quand arrêteras-tu de tourner en rond et, à l’instar d’une tempête, d’un cyclone, d’un ouragan, de ravager les territoires que tu abordes ? Quand décideras-tu enfin d’avancer, de filer droit, d’être humain, d’être un homme ? Mon père me répète souvent que si nous avons les yeux devant le crâne et l’incapacité de tourner complètement la tête, c’est pour mieux regarder devant nous.

Quand avanceras-tu ?

L’âge, le temps, je l’espère, t’apprendront autre chose que toi. La liberté, disait Maya Angelou, est une manière de vivre. C’est «être capable d’accepter les gens pour ce qu’ils ou elles sont ». Je ne t’impose donc rien. La société non plus. Malheureusement.

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Aldor dit :

    C’est difficile, parfois, les relations entre hommes et femmes.

    Peut-être (je parle pour moi) essayer de bien comprendre le concept de chasteté, qui n’est pas du tout l’abstinence mais le respect de l’autre qu’on s’interdit de manipuler…

    J’aime

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