« Qui a été le plus dur avec toi, les hommes ou les femmes ?
[ Elle réfléchit ] Les femmes peuvent regarder mal oui. Il y a ce snobisme entre femmes… « Moi je suis pas une pute. » « Elle, c’est qu’une pute. » Finalement, il y a l’idée de la femme qu’on épouse, et de celle qu’on n’épouse pas. Il faut se plier à plein de règles pour être la femme qui va se faire épouser. Mais pourquoi doit-on suivre ces règles si on se veut libre et féministe, c’est un peu ridicule, non ? » (Interview de Zahia Dehar, Magazine L’Antidote, 20 novembre 2017)
Il n’y a en effet rien à ne lui reprocher, elle a fait un choix, Zahia: son choix. Et si certains courants féministes s’opposent vigoureusement à la prostitution, l’une des plus convaincantes n’en estime pas moins : « Difficile de ne pas penser que ce que les femmes respectables ne disent pas, quand elles se préoccupent du sort des putes, c’est qu’au fond, elles craignent la concurrence déloyale. Déloyale car trop adéquate, trop directe ». Elle, c’est Virginie Despentes. Elle, Zahia, utilise ses mots, les mêmes ressorts, les mêmes comparaisons. Comme d’autres, très nombreuses, ce féminisme qu’elle argue s’est sans doute fait les dents en King Kong Théorie.
« Rendre le pouvoir à César ? »
Cela dit, qu’est-ce que cette « femme respectable » ? Celle qu’on épouse ? Qui la dit ? Qui la fait ? Le mariage ? Quel mariage ? Existe-t-elle, la « Femme respectable » ? Sur lie de revendication et de liberté, n’est-ce pas manquer là de sororité ? Opposer la femme « qu’on épouse » à « celle qu’on épouse pas », n’est-ce pas rendre le pouvoir à César ?
Elle, l’autre, « celle qu’on épouse »
Selon elle, selon elles, la « femme respectable » est donc celle qui se marie, celle « que l’on épouse ». Elle est celle qui a accepté les diktats, pire, celle qui s’y résout, par convenance. Elle est celle qui fait ce que l’ON veut plutôt que ce qu’ELLE veut. Elle est celle qui n’a pas compris, celle qui s’engonce, celle qui se limite, celle qui n’ose pas – se libérer notamment, puisque libre, elle ne se marierait pas. Elle est celle qui a eu peur, celle qui a fini par succomber à la pression… « La commisération et la cruauté avec lesquelles on considérait (…) les vieilles filles, les rejetant dans le non-être, me terrorisait pour mon avenir, alors que la pire moche, la dernière des imbéciles, (…) mariée, ne faisait pas rire d’elle », a confirmé en son temps Benoîte Groult (Ainsi soit-elle), il y a un moment, pas si longtemps, pas assez sans doute.
« Sont-ce la diversité, la multiplicité, le folklore des relations sexuelles qui disent la liberté ? »
Mais la libération, la liberté est-elle obligatoirement sexuelle ? Devient-on plus libre à force de pénétrations ? Sont-ce la diversité, la multiplicité, le folklore des relations sexuelles qui disent la liberté ? Une femme abstinente n’est-elle pas libre également ? Parallèlement, ne peut-on être respectable en les multipliant les relations ? Tout cela n’est-il pas finalement très binaire, très manichéen, très consensuel, presque assignant, autant que ce que l’on prétend vouloir changer ?
Et qui assigne ici ?
Qui assigne encore ?
Nous. Elle. Elles. Au même bénéfice, toujours.
La liberté a besoin de fraîcheur. Elle n’est pas que de corps. La liberté est avant tout un état d’esprit, plus ou moins dénué de jugement. Personne n’en détient le monopole.
« Tout foutre en l’air »
Ainsi, « Construire un couple sur le long terme demande un effort. Passé la phrase d’exaltation amoureuse, l’esprit critique réapparaît. Seule une attitude moins fermée sur soi-même peut permettre de renforcer le lien autour de valeurs partagées ou de la mise en commun d’activité et de projet » (Marie-France Hirigoyen, Les nouvelles solitudes).
Dérision, hauteur et…divisions
Il exhale aussi de cette expression, « femme respectable », un parfum de dérision, de hauteur, comme une volonté de s’éloigner d’une antiquité encombrante. Et pourtant, respectable, c’est être, selon Le petit Larousse, « digne de respect. D’une importance dont on doit tenir compte ; Assez grand ». Rien sur le nombre de partenaires. Rien non plus sur l’absence de partenaire. Rien sur l’utilisation que l’on fait de son corps. Rien sur l’origine, le genre. Rien de défini.
Être respectable, c’est être ou se rendre digne de respect. Pour ce que l’on est. Par ce que l’on fait. Pour la société. Pour les autres. Pour soi et par soi. Pour le mieux-être du plus grand nombre au mieux, contre son mal-être, au moins. Tout cela se décide assez librement finalement. Personne n’a le monopole de la liberté. Elle est diverse, la liberté. Comme la vérité. Comme la femme. Comme les autres. Comme la » femme respectable » qui ne mérite ni cette attaque, ni tant d’honneurs. « Le respect n’est pas qu’une attitude ou une manière de se comporter envers l’autre. C’est un sentiment que l’autre nous inspire » (Rose-Marie Charest, La dynamique amoureuse).
« Elle n’existe pas. Elles existent. Elles sont légion ».
Elle ne mérite pas tant « la femme respectable » puisqu’elle n’existe pas. Elles existent. Elles sont légion. En ce qu’elles assument ce qu’elles sont, seules ou accompagnées, un jour ou tous les jours. En ce qu’elles apportent à la société par leurs travaux de recherches, leurs écrits, l’éducation de leurs enfants ou leurs engagements, l’usage ou le mouvement de leur popotin, leurs entreprises, leurs lignes de lingerie. En ce qu’elle ne sont plus entravées. En ce qu’elles quêtent. En ce qu’elles obtiennent, les unes avec les autres.
On peut être libérée et respectable, certes oui . La liberté, ce n’est pas seulement dans la sexualité qu’elle se réalise et la respectabilité ne va pas forcément de pair avec le conservatisme. Oui je suis entièrement d’accord.
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