L’amour au temps des GAFA – 5/10

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« Tu connais cette maladie fiévreuse qui s’empare de nous dans les froides misères, cette maladie du pays qu’on ignore, cette angoisse de la curiosité ? » (Charles Baudelaire, Invitation au voyage in Le spleen de Paris)

Où est elle ?

Victime de l’époque ? Une de plus ? Tandis qu’elle est responsable de tout, des échecs politiques aux défaites économiques, du repli social, des désastres écologiques, faudra-t-il qu’elle soit également responsable du défaut de curiosité qui torpille nos rencontres, nos relations ? Le génie « trouve d’abord, il cherche après. Il a l’intuition de la théorie, il en déduit le résultat, puis il développe les conséquences jusqu’à les rendre limpides – et par là même incontournables. Alors, il revient en arrière pour étayer sa découverte par les calculs nécessaires à la démonstration, mais à ses yeux c’est du temps perdu ; il est déjà ailleurs, en avant… » ( Didier van Cauwelaert, La femme de nos vies ).

Christophe, Grégory, Romain et les autres dont Michel

N’est-ce pas d’elle dont il a été question dans les épisodes précédents, avec Christophe, Grégory puis Romain ? De la curiosité ?
Michel est amoureux de son ancien compagnon. Ils se sont connus, ont vécu une dizaine d’années ensemble. Ils ont voulu fonder une famille : la loi l’a permis lorsque leur couple ne l’autorisait plus. Ils se sont séparés il y a plusieurs mois. Agrégés cela pourrait bien représenter une année ou deux. Peu importe, l’essentiel étant qu’il l’aime encore. D’un amour attilesque : qui ne laisse rien après son passage. Il ne le lui dira jamais. Au lieu de cela, comme nombre d’entre nous, Michel l’ignore, l’agresse, le déteste. Pour épousseter sa mémoire, Michel accumule, hiérarchise, capitalise, choisit de fréquenter un autre homme. Pour être certain de rester correct – Michel est un homme correct – il annonce sortir d’une relation qui l’a marqué, qui l’a blessé, etc. C’est là, lui semble-t-il, la dose minimale d’honnêteté, de clarté, nécessaire à donner le jour à une relation morte-née puisqu’engendrée dans l’ombre de l’autre, l’amour, l’unique, l’essentiel.
C’est là que s’arrête toute curiosité de la part de Michel.

« Michel accumule, hiérarchise, capitalise… »

Qui est-il ? Que veut-il ? Quelle a été sa vie avant ? Quelle est celle qu’il quête désormais? Il n’est même pas tout à fait question de rencontrer une autre personne. Michel cumule, accumule. Ce dont il est question ici, ce n’est que de lui, de Michel, de son passé, de son histoire, de sa vie, à Michel, de son chagrin, du mal qu’il a, Michel, d’en sortir, d’un moyen d’y parvenir. Jamais il n’est question de l’autre dont nous tairons donc le nom  puisqu’il n’a absolument aucune importance. L’important, c’est Michel. Et son honnêteté. Puisqu’il a prévenu, le voilà paré de l’armure de décence. Il a tout dit : il revient d’une relation qui l’a marqué, qui l’a blessé, etc. Il est honnête Michel bien qu’il manque singulièrement de la responsabilité la plus basique : celle de mesurer les dommages  que pourraient occasionner ces petits calculs personnels.

Coup du sort

La sécurité, la responsabilité, l’honnêteté bien sûr, mais qu’en est-il de la curiosité ?
Celle qui pousse à en savoir plus, à tenter, goûter, à se pervertir un peu, pour la bonne cause, celle de « l’avant », celle de l’allant, celle qui tend vers l’aventure, la découverte et, pourquoi pas, vers le respect de l’autre.

Qu’en est-il de la curiosité ?

« Les questions sont plus importantes que les réponses, lesquelles n’ont de sens que si elles engendrent de nouvelles questions » (Didier van Cauwelaert, La femme de nos vies ).
Quelle différence existe-t-il entre nos relations et celles d’antan, de ces temps anciens que l’on regarde de haut puisque les gens n’étaient libres de rien, même pas d’être eux-mêmes, même pas de choisir ce qu’il voulaient être ? Quelle est la différence entre l’amour au temps des GAFA et l’amour au temps du choléra ?

« Les plus beaux cadeaux du sort nous arrivent en général sous forme de démenti. »
(Idem)

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