Il y a ces ados qui le restent tellement tard que cela en devient inquiétant. Il y a ces phrases du type « la vie commence à 40 ans ». Il y a ce hashtag sur Instagram, #50ans, où des femmes et des hommes affichent leur bien-être, sourient à la vie qu’elle/ils ont choisi, parce qu’ils en ont le droit. Il y a eu No sex and the city, la suite du célèbre livre, de la célèbre série sur ces trentenaires célibataires perplexes sur l’avenir mais heureuses ensemble. Candace Bushnell, l’autrice, la soixantaine aujourd’hui, conclut l’ouvrage sur la certitude que « la soixantaine » sera « un cru exceptionnel ». Il y a tout cela et puis il y a la réalité biologique, médicale, la douche froide après l’ivresse, la gueule-de-bois.
Les perturbateurs endocriniens ne sont pas les premières causes d’infertilité. L’infertilité, ce n’est pas dans la tête non plus : « En 20 ans, indique le professeur Jean-Marc Ayoubi, chef de service de Gynécologie et médecine de la reproduction, jamais je n’ai dit à une patiente que son problème d’infertilité était dans sa tête ». Ce n’est pas l’obésité non plus. La première cause d’infertilité, toutes classes sociales confondues, c’est l’âge. Des études sont engagées, « sur les cellules-souches, les injections placentaires. Mais elles n’aboutiront pas avant vingt ans » indique Gwénola Kéromnes, cheffe de service d’un centre de fertilité. En attendant ? Il faut faire vite, faire bien. Il ne faut pas perdre de temps.
Une conférence
Sensibiliser, informer, alerter , titre le document.« Il faut informer les femmes sur cet état de fait, les sensibiliser : plus la grossesse sera tardive, plus elle sera dangereuse, plus augmenteront les risques de fausses couches » répètent les spécialistes rassemblés à la mairie du 3ème arrondissement de Paris, mardi 22 juin, pour une conférence intitulée « Infertilité croissante : pourquoi concevoir un enfant est plus difficile aujourd’hui ? ». « Sans doute faut-il sensibiliser les entreprises aussi, les universités, pour permettre aux femmes d’enfanter au meilleur moment » propose, en marge de la rencontre, Gwénola Kéromnes, aider les femmes à mieux connaître leur corps, à le comprendre . « J’ai demandé à une femme si elle ressent son ovulation, elle ne savait pas de quoi il s’agissait » raconte-t-elle.
L’espèce humaine est extrêmement peu fertile
Les origines de l’infertilité sont partagées – 25% – entre les femmes, les hommes, une incompatibilité entre les deux. Restent 25% qui restent inexpliquées.
En réalité, indique Daniel Vaiman, directeur de recherche de l’Inserm, « l’espèce humaine est extrêmement peu fertile ». Cela est due aux aléas de l’Évolution qui nous a rendus moins féconds, de siècles en siècles. « Il est vraisemblable de penser que la fertilité ira decrescendo » confie-t-il encore. Jean-marc Ayoubi a récemment réussi une greffe d’utérus et permis la naissance de Misha.
Gwénola Keromnes est cheffe de service du centre de fertilité du groupe hospitalier Les Diaconesses. Ces deux hôpitaux sont classées parmi les meilleurs établissements de France en matière d’assistance médicale à la procréation (AMP). Daniel Vaiman a reçu, il y a quelques temps, une bourse, pour un programme de recherche sur la pré-éclampsie dont les risques augmentent également avec l’âge.
Un modèle
Manon Vialle, sociologue, appartient au panel de spécialistes réuni en cette fin d’une journée grisâtre dans la salle des mariages de l’Hôtel de ville du 3ème arrondissement de Paris. Sa thèse de doctorat portait, en 2017, sur l’Infertilité « normale » vs infertilité « pathologique » : une opposition en question – Normes et pratiques françaises de l’AMP face à l’infertilité féminine liée à l’âge. Allure de garçonne, installée à l’extrême gauche de l’arc que forment les co-intervenants, elle n’intervient pas beaucoup. Manon énonce, notamment dans deux articles parus en 2014 et 2018, l’existence « d’une spécificité du modèle bioéthique » en France. « La particularité de ce modèle est de se présenter comme strictement thérapeutique et de reposer sur la notion d’infertilité « pathologique ». Or, c’est justement la simplicité apparente de cette distinction entre pathologie et « convenance » que met en question l’infertilité à l’âge ». Par convenance, il faut entendre ce qui ne relève pas de la pathologie, de la maladie, ce qu’il est coutume de nommer dans les débats « un luxe » ou « un désir d’enfant ».
Passé un temps, une distorsion se crée entre celles qui peuvent et celles qui ne peuvent pas.
Beauté fatale
Si les grossesses se font tardives, c’est que les femmes veulent devenir : plus matures, mieux logées, plus aisées. Enfanter pour elles est un projet qui s’engage sur des bases sécurisantes. « Les enquêtées ont toutes repoussé après 35-40 ans leur projet parental, car sans ces objectifs atteints, elles se sentaient indisponibles (…) Nous avons regroupé ces différents objectifs, non exhaustifs, au sein de quatre formes de disponibilités : la disponibilité partenariale, la disponibilité conjugale, la disponibilité matérielle, la disponibilité affective » précise Manon, dans l’article paru dans Enfance, Familles, Générations en 2018. Ce n’est pas pour aller contre la nature que des femmes, de plus en plus nombreuses, décident d’enfanter plus tard, c’est inspirées par un « sentiment de jeunesse », par une confiance en leur culture, par une confiance en la médecine. Ce « sentiment d’indisponibilité à la maternité qu’elles ont ressenti prend forme dans un contexte social particulier d’allongement de l’espérance de vie et de recomposition des classes d’âge. ». La plupart des femmes rencontrées durant l’enquête citée savent que la fertilité diminue avec l’âge « mais ont tout de même été surprises par le phénomène ».

Hapiness therapy
Au-delà du respect d’une certaine norme, toute velléité devient une « convenance » que l’on peut acheter si l’on en a les moyens mais qui ne sera pas remboursée au-delà de 43 ans. Passé un temps, une distorsion se crée entre celles qui peuvent et celles qui ne peuvent pas. « Le risque acceptable aujourd’hui selon les professionnels de santé n’est plus le même qu’hier, variant au gré des innovations techniques, des découvertes scientifiques et du changement de normes sociales ». Le problème réside dans la particularité d’un modèle qui se présente comme « strictement thérapeutique ».
Or, vieillir n’est pas une maladie.
Ce qu’il semble c’est que la médecine reproductive en France n’est pas en phase avec les attentes des femmes, aujourd’hui. Ce qu’il semble, c’est que la recherche ne va pas dans le sens de la levée des injonctions qui pèsent sur elles. Ce qu’il semble c’est que nombre de spécialistes considèrent ces réalités sociales comme une méconnaissance de son corps au mieux, une irresponsabilité au pire. Ce qu’il semble, c’est que la médecine, qui a pourtant installée depuis près de deux siècles les conditions d’une vie plus longue, plus sécure, plus préservée ne soit pas encline à s’interroger sur ce qui fait défaut aux femmes : le temps. Elle semble s’inscrire dans un schéma conservateur plutôt que novateur. « Cette référence à la pathologie dans un cadre théorique « naturel » de procréation pour justifier la prise en charge rend la réglementation particulièrement rigide et restrictive par rapport à la plupart des pays occidentaux ».

Les choses de la vie
Aujourd’hui, « l’individu ne se contente pas de grandir ou de vieillir, il passe d’une classe d’âge à une autre, au-travers de seuils plus ou moins ritualisés« . Aujourd’hui, ce grâce à la médecine notamment, on est « plus jeune » plus longtemps. « Dans le contexte sociodémographique contemporain, la notion même d’infertilité évolue et met en question le modèle bioéthique français (…) L’opposition, pathologie contre convenance, « sur laquelle fut construit le modèle ne fournit plus la référence solide et simple que le débat politique continue d’invoquer. Pouvons-nous imaginer qu’il évolue vers une vision plus complexe, et en définitive moins idéologique de l’infertilité ? La réponse à cette question est un enjeu majeur majeur pour le futur des femmes françaises » (L’«horloge biologique » des femmes : un modèle naturaliste en question. Les normes et pratique s françaises face à la croissance de l’infertilité liées à l’âge, Manon Vialle)
Ne pas repenser cette injonction à la maternité en un temps donné comme immuable, n’est-ce pas cautionner une inégalité, un désordre entre la société telle qu’elle est et des principes éculés qui interdisent d’ouvrir de nouvelles pistes de recherches pour l’accompagner ?
Injonctions contre évolution
La médecine moderne a souvent été la compagne des évolutions sociales. Plus que les accompagner, elles les a permises. Sur cette question qui atteint aux corps des femmes, pourquoi semble-t-elle plus encline au pas de côté ? Les enfants ne sont-ils pas plus heureux lorsqu’ils naissent dans des familles mieux à même de les recevoir ? Ne pas repenser cette injonction à la maternité en un temps donné comme immuable, n’est-ce pas cautionner une inégalité, un désordre entre la société telle qu’elle est et des principes éculés qui interdisent d’ouvrir de nouvelles pistes de recherches ? « En montrant que les femmes ne font pas face à une stricte infertilité mais à une infertilité partielle, nous dévoilons l’existence d’une zone grise entre fertilité et infertilité dans l’écart entre l’altération de la capacité ovarienne et la pérennité de la capacité gestationnelle. C’est dans cette zone grise étendue que les femmes se sentent légitimes à recourir à l’AMP afin que la partie défaillante soit en quelque sorte réajustée au corps « jeune », après quoi elles se considèrent capables de porter, d’accoucher et d’élever l’enfant à venir » (Manon Vialle).
Lésées par cette médecine en laquelle elles ont pourtant foi, ces femmes ne sont rien d’autre que les laissées pour compte d’une vision placée dans l’entre-deux : entre une vision figée de la société et ce qu’elle devrait générer de créativité, entre l’envie d’être, de devenir et l’injonction de faire comme il faut, comme cela a été décidé pour elles, il fut un temps, un point, c’est tout. Puisque les positions médicales divergent ici et là, quand elles le peuvent, elles tentent de rendre l’impossible possible, ailleurs. Quand elles ne peuvent pas, il leur faut apprendre à digérer la frustration de l’abandon du projet de maternité. Liberté et égalité disparaissent devant l’infertilité des femmes et la médecine reproductive telle qu’elle la pense ne semble pas vouloir qu’il en soit autrement.
Qu’ils arguent : rien n’arrête une idée dont l’heure est venue, rappelait Victor Hugo, parlementaire.
Évolution et résistances
La nouvelle loi bioéthique devrait, entre autres innovations, permettre l’autoconservation des gamètes pour tou.te.s, l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Elle a été votée le 29 juin et les décrets d’application devraient être promulgués d’ici la rentrée 2022, a annoncé le gouvernement. C’était une promesse de campagne du candidat président, Emmanuel Macron.
Par trois fois, la chambre haute, le Sénat a rejeté le texte, en tête duquel l’article premier qui révise le critère d’infertilité et « supprime la notion imprécise d’âge de procréer qui figure dans la loi au profit d’une interprétation incontestable de ce critère ».
Le Sénat, avec celles et ceux qui l’inspirent, argue d’un modèle social, parental. Ils arguent d’un équilibre sociétal. Il argue et fige la réflexion plutôt que débattre sur le socle de l’égalité réelle qu’il est supposé défendre.
Qu’ils arguent : rien n’arrête une idée dont l’heure est venue, rappelait Victor Hugo, parlementaire.
Les lois bioéthiques sont repensées et votées tous les cinq/sept ans. Précisément parce que les temps changent vite. Précisément parce que d’autres positions se font jour ailleurs et qu’il n’est plus permis de penser enclos : le monde ne l’est plus. Les injonctions interdisent toute la créativité éthique – un concept à inventer ? – dont l’époque a besoin. Elles punissent par convenance, par principe, celles qui ont eu l’audace de vivre ou la bêtise de croire trop longtemps à un idéal.
Liberté, égalité, réalité
