Il a fallu qu’elles soient pour que d’autres soient, à leur tour, fières, fortes, inspirantes, engagées, présentes. Ce mois de Mai est un mois de mémoire sur CAPITAINEs., un mois de transmission. Il commence avec le témoignage de Ouerdia Ousmer, communicante algérienne, co-créatrice du podcast « Éclosion » qui raconte Fatima, sa rencontre, plus tard, avec Yaya Dadi. « Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse », dit-elle, « la transmission est inéluctable et l’héritage immatériel précieux ».
Qu’est ce que j’aurais aimé qu’elles soient encore là, mes grands-mères parties trop tôt !
Quand ma grand-mère paternelle nous a quittés, je n’avais qu’une douzaine d’années. Tout juste l’âge auquel on commence à nouer une véritable relation avec ses grands-parents, l’âge auquel on peut accumuler les souvenirs. Dieu merci, il m’en reste quelques uns.
Je me souviens des jours d’Aïd, durant lesquels Mamie nous alignaient en file, mes cousins et moi, pour nous tracer, chacun notre tour, un cercle de henné dans la paume de la main. Je me souviens de ses petites mules qu’elles appelait tirkassine. Elle en avait des bleues et des rouges, elles étaient brodées sur le dessus de fleurs avec un peu de dorure. Je me souviens de ma quête de la pierre parfaite, le gros caillou qui pourrait lui convenir pour faire ses ablutions sèches, car à l’époque, Alger, comme d’autres villes, souffrait du manque d’eau. Je me souviens du son de sa voix quand elle nous racontait les histoires de Teryel -l’ogresse- ou de Zelgoum.
En parlant de sa voix…
Un jour mon père m’entendant chanter, chose que je n’arrête pas de faire et que je considère comme thérapie les « jours sans », m’a confié que ma grand-mère faisait la même chose. C’est entre autre chose pour cela que je crois intimement que les gens qui nous sont chers vivent en nous.
Tellement de souvenirs me sont précieux et continuent de nourrir mon lien avec celle dont j’ai hérité le prénom. Elle n’est peut-être plus là, mais elle vit en moi. Et puis, on m’a toujours dit que je lui ressemblais. J’ai d’ailleurs, au bas de la joue droite un grain de beauté similaire à celui qu’elle avait elle aussi… Qu’est ce que j’aurais aimé qu’elle soit encore là.
Un jour mon père m’entendant chanter, chose que je n’arrête pas de faire et que je considère comme thérapie les « jours sans », m’a confié que ma grand-mère faisait la même chose. C’est entre autre chose pour cela, que je crois intimement, que les gens qui nous sont chers vivent en nous.
Des années plus tard, à 27 ans, j’ai perdu ma grand-mère maternelle dont je visualise encore la démarche dandinante. Elle croisait souvent les bras derrière son dos. Elle avait dans le regard de la timidité, de la sagesse, un voile de tristesse, elle qui était devenue veuve à 30 ans à peine. Je me souviens de son rituel pour coiffer ses cheveux couleur argent. D’abord, elle les démêlait. Ensuite, elle traçait une raie pour séparer sa chevelure, pour en faire deux tresses qu’elle finissait par nouer dans un foulard comme de nombreuses femmes kabyles. Fatima était la parfaite illustration de la grand-mère, elle a donné de l’affection à chacun de ses nombreux petits enfants.
Fatima était généreuse. Je me souviens de ceux qu’elle appelait les invités de Dieu : aucune personne sonnant à sa porte pour demander l’aumône ne repartait bredouille. C’était sa règle d’or.
Je me souviens de mon café au lait, des tartines préparées les matins où je me réveillais chez elle. Je me souviens du petit morceau de sucre qu’elle nous donnait avant chaque examen. Je me souviens de son armoire où elle gardait toujours une petite gourmandise ou des petites pièces. Un jour, je pouvais avoir droit à du chocolat ou des bonbons. Un autre jour, à des noix ou simplement à de la monnaie, pour que je puisse m’acheter ce qui me ferait plaisir. Je me souviens d’une année où Tizi-Ouzou, la ville où je suis née, a connu un gros épisode neigeux. Cette fois-là, Mamie s’est transformée en fabrique à bonnets. Je ne sais plus combien de bonnets de laine elle a confectionné en un temps record ! Fatima était généreuse. Je me souviens de ceux qu’elle appelait les invités de Dieu : aucune personne sonnant à sa porte pour demander l’aumône ne repartait bredouille. C’était sa règle d’or.
Ma grand-mère adorait son jardin, elle en prenait soin et travaillait à le faire fleurir. Sa fleur emblématique reste pour moi l’oiseau du paradis. J’espère qu’elle en est un aujourd’hui. A chaque fois que j’en croise, dans un jardin ou dans un bouquet, je pense à elle, en me disant qu’elle me fait un clin d’œil. Qu’est ce que j’aurais aimé qu’elle soit encore là…

Des souvenirs, des images, des mots, des parfums, un tas d’éléments qui maintiennent vivantes mes deux grands-mères auxquelles je pense souvent en me demandant ce qu’elles auraient pensé de la femme que je suis devenue. Timide et sensible petite fille que j’étais, je les ai beaucoup observées et ancré en plein cœur chacune de leur attention.
Un jour, j’ai fait la connaissance d’une autre aïeule, mon arrière grand-mère, la grand-mère de ma mère. Elles étaient très proches. Elle a, tout comme moi pour mes grands-mères, été affectée par son décès. Ma mère a donc écrit un livre dont le titre est: « Derrière les larmes de ma grand-mère », paru en 2021, aux éditions Koukou. Elle a voulu saisir, comprendre ce qui déclenchait les torrents de larmes de Yaya Dadi. Son récit, un témoignage, nous a permis de découvrir mieux encore notre histoire familiale, de préserver notre mémoire.
Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, la transmission est inéluctable. L’héritage immatériel est précieux.
