Viviane – Créer des coliving solidaires pour entrepreneur.e.s à impact

Immédiatement, une connexion sincère se lie avec Viviane Bondoma, économiste du développement, désormais pilote d’une start up, pépinière d’entreprises à impact. Le projet se nomme Ukuzola, il va en être question. Tout comme de cette époque, d’aujourd’hui, où il semble devenu inimaginable de ne pas engager le changement que l’on perçoit, de ne pas ajouter sa touche à la réécriture engagée du monde.

Dans les rues du continent africain, nous sommes tous témoins que la jeunesse peut changer l’histoire
(Ukuzola)

Si tu devais te définir en trois mots, lesquels choisirais-tu ?

Je me demande si je ne devrais pas aller chercher ce petit document qui résume mes valeurs…

Je vais plutôt te dire ma devise, celle qui me drive tous les jours : all power to all the people. C’est vraiment cette idée que nous devons toutes et tous être égaux, avoir les mêmes droits, les mêmes devoirs mais surtout les mêmes pouvoirs, cette capacité pour chacun.e de décider sa vie, sans injonction, sans assignations.

Je suis vraiment attentive à cela, à la manière dont chacune et chacun peut disposer des mêmes pouvoirs, à savoir comment je peux participer à créer un monde où tout le monde dispose des mêmes opportunités, des femmes aux minorités, en passant par les peuples autochtones ou les personnes de classes sociales inférieures. Je me suis mise mouvement dans ma vie personnelle, professionnelle, dans ma vie d’activiste pour cela : all the power to all the people.

Tu es donc à l’initiative de Ukuzola. Que signifie ce terme ? Quelles sont les origines du projet ? Quel en est le principe ?

Lorsque j’ai découvert la problématique que je m’emploie aujourd’hui à résoudre, en discutant avec mon entourage, je constatai que les jeunes du Cameroun n’ont pas le luxe d’entreprendre en toute sérénité. Les jeunes des Nord disposent d’aides : on sait toutes et tous que le premier financeur de l’entrepreneuriat, c’est Pôle emploi. Ils disposent du garage de leurs parents, d’opportunités diverses…

Les jeunes que j’accompagne n’ont pas le luxe de la sérénité. « Le luxe d’entreprendre en toute sérénité » est rapidement devenu un leitmotiv. Il rejoint ma devise – all the power to all the people. Lorsqu’il a fallu baptiser le projet, j’ai choisi ce mot-là, sérénité. En cherchant, j’ai découvert que le terme xhosa était ukuzola. C’était important que le terme soit africain. C’est important qu’il vienne d’Afrique du Sud, le pays de Winnie Mandela, pour laquelle j’ai énormément d’admiration.

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Je suis vraiment attentive à cela, à la manière dont chacune et chacun peut disposer des mêmes pouvoirs, à savoir comment je peux participer à créer un monde où tout le monde dispose des mêmes opportunités, des femmes aux minorités, en passant par les peuples autochtones ou les personnes de classes sociales inférieures.

Le but de Ukuzola est donc de permettre aux jeunes entrepreneur.e.s sélectionné.e.s de se consacrer à 100% à leur projets, en leur proposant un coliving solidaire – un logement, le couvert, une gratification – mais aussi des accompagnements en entrepreneuriat, en politique genre, en politique RSE – Responsabilité sociale des entreprises – pour monter des dossiers et accéder aux financements, très souvent fléchés par les gouvernements, sur des problématiques ODD – Objectifs Développement Durable. Qu’elles et ils le fassent par conviction, pour construire une autre société, plus durable.

Où en est-il, aujourd’hui ? De quoi a-t-il besoin pour grandir ?

Ce n’est plus juste une simple idée, un simple projet sur le papier.

Dans deux mois et demi, le premier coloving solidaire ouvrira à Yaoundé. Deux appartements ont déjà été réservés au sein du quartier Nkolmbong. Une mama s’occupera de la cuisine, de l’entretien, du bien-être au quotidien. Nous finalisons le programme en accompagnement genre et RSE.

L’appel à projet est en cours. Si des jeunes entrepreneur.e.s camerounais.e.s nous lisent, ils peuvent d’ailleurs candidater, jusqu’en avril prochain, sur nos pages LinkedIn et sur Facebook.

Des associations nous rejoignent aujourd’hui, pour proposer des masterclass. Des cabinets d’Europe et d’Amérique du Nord ont fait savoir leur intérêt. Nous sommes prêts à débuter, fin avril, avec la première promotion de neuf jeunes, six femmes et trois hommes. Nous espérons enfin que notre communauté continuera de grandir, à nous aider à les accompagner.

Mobiliser les réseaux

La campagne Ulule a été un succès : nous avons levé plus de 12 000 €. Un mécène privé nous a fait don de 12 000 €. La page Ulule reste ouverte. Il reste donc possible de faire des dons, pour permettre d’élargir les candidatures.

Nous avons besoin de mises en réseau, avec des fonds de dotations, des fondations, tout fonds de financement sur les sujets Entrepreneuriat ou Transition sociale et climatique.

Nous avons besoin de mises en relation pour élargir la communauté à même de proposer des masterclass, d’autres accompagnements. Nous avons besoin que soient diffusées nos offres de services civiques, pour faire mieux, pour faire plus.

Appuis sur la communication, sur la formation, sur des ateliers plus spécifiques : si des personnes veulent intervenir, nous sommes ouverts. Une page Ukuzola est consultable sur Jeveuxaider.fr.

Peux-tu déjà présenter quelques-unes des initiatives candidates ?

L’appel à projet étant en cours, je préfère ne pas en parler pour le moment. Simplement indiquer qu’il y a un peu de tout, de tous les secteurs d’activité.

L’ambition d’Ukuzola, c’est d’initier des coliving solidaires pour entrepreneur-e-s à impact partout dans le monde.
Ukuzola créé, mobilise et anime une coalition hybride et internationale pour que partout dans le monde chacun-e ait la possibilité de proposer des solutions aux grands défis contemporains.

(Plaquette Ukuzola)

Ukuzola envisage de « créer une communauté qui, au-delà de choisir et financer des projets, pourra les accompagner » (plaquette). Comment ? Qu’est-ce que cela signifie ?

Si vous êtes un entrepreneur implanté sur le Continent, installé depuis au moins un an, vous pourrez intervenir auprès de ces jeunes lors de Sessions inspirations. Elles se tiendront tous les mercredis, au sein de la résidence Ukuzola. Pour celles et ceux qui sont installés depuis de plus cinq ans, il existe une option Mentorat. Le but : montrer à ces jeunes que c’est possible, comment c’est possible, que la réalité est plus complexe que les success stories que l’on voit sur les réseaux sociaux, que les galères génèrent de l’expérience, de bonnes pratiques, avec le temps.

À la suite de la campagne Ulule, une communauté s’est formée. Ce serait chouette que certains participent au jury. Des ateliers aux masterclass, nous espérons rassembler largement. Les compétences, enfin, mobilisent des personnes inspirantes.

Ne crains-tu pas de te substituer aux instances gouvernementales ? Quels retours as-tu reçu des institutions locales ?

Aucun acteur de l’économique sociale et solidaire n’est dans une logique de substitution. Le monde associatif ne se substitue pas aux instances gouvernementales. Chaque actrice/acteur fait de son mieux avec les moyens dont il dispose. Les autres comblent les trous dans la raquette. C’est le cas de Ukuzola : venir en complément. Travailler sur l’entrepreneuriat, l’auto-détermination. Avec les États, pour les États.

Nous sommes d’ailleurs en contact avec l’agence de promotion des PME du Cameroun, avec un conseiller du Premier ministre, en charge de l’entrepreneuriat des jeunes et de l’innovation. Certains candidats ont déjà été accompagnés par des institutions locales et poursuivent le travail avec nous.

La raquette est là. Nous tissons des liens que nous espérons les plus solides possibles. J’espère que dans dix ans, d’autres acteurs nous rejoindront, pour compléter cette toile, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de trous dans la raquette.

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Dans la partie accompagnement, il est question de RSE (responsabilité sociale des entreprises), de Droits des femmes : comment s’inscrire dans son environnement, rester au plus près des réalités du terrain, instruire sans choquer, ne pas être taxer d’importer, sans égard pour l’existant, des principes culturels extérieurs ?

Il y a une histoire des femmes au Cameroun, des luttes pour l’autodétermination, qui n’a pas toujours reçu d’écho parce qu’elle n’était pas forcément médiatique. Les femmes ont participé aux luttes pour l’indépendance. Lors des mouvements d’avril 1991, tandis que des associations étaient dissoutes, sur les six organisations touchées, deux étaient des organisations de femmes

L‘art est un merveilleux outil pour explorer la mémoire des peuples. Entre autres objets d’étude, nous pensons à l’ouvrage de Flora Nwapa, Efuru. C’est le premier livre écrit par une femme africaine qui parle de condition des femmes. Aux chants médiévaux qui traitaient de ce sujet. Aux artistes sud-africaines, à ces femmes qui se sont engagées en politique, qui ont intégré le catholicisme en quête d’égalité, aux stratégies de sororité initiées sur le Continent…

La raquette est là. Nous tissons des liens que nous espérons les plus solides possibles. J’espère que dans dix ans, d’autres acteurs nous rejoindront, pour compléter cette toile, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de trous dans la raquette.

Ce dont il s’agit, c’est offrir de nouvelles possibilités, l’opportunité de choisir. C’est donner des égales opportunités aux femmes de se réaliser, de choisir, en connaissance de cause, plutôt que par injonction, par assignation.

Le mot important ici est Pouvoir.

En tant que Camerounaise, je me sens le droit de porter une critique sur ma culture, d’avoir un regard critique sur ma culture. Je dois pouvoir, en tant que telle, avoir le droit d’imaginer un avenir pour mon pays, pour ma génération. Lorsque l’existant fait souffrir, nous devons pouvoir le bouger. L’existant, il faut le regarder avec compassion, avec fierté, remercier les anciens pour ce qui a été accompli et conserver un regard critique.

Choquer n’est pas un sujet. La raquette, la toile restent à tisser.

Le mot important ici est Pouvoir

Peut-on, aujourd’hui, faire l’impasse sur des projets engagés, des projets à impact ?

Sur le continent, c’est extrêmement rare de rencontrer un créateur déconnecté de la communauté, qui ne vise pas l’utilité immédiate. Nous souhaitons évoluer dans des sociétés apaisées.

Nous serons les premiers concernés par le réchauffement climatique. Les questionnements en cours s’attachent très peu à la dette climatique tandis que celles et ceux qui auront le moins contribué au dérèglement climatique seront celles et ceux qui paieront le tribu le plus lourd. Les prévisions ne parlent que des 250 millions de réfugiés en 2050. Voilà ce que l’on nous réserve comme avenir. Être des réfugiés. Je m’inscris en faux. Je veux proposer un autre avenir.

J’espère recevoir des soutiens, pour créer cette société plus apaisée, pour les femmes, pour les jeunes, pour les minorités. Il est dit que nous sommes des sociétés de la collectivité, de la communauté. Je prends cela au mot, pour transformer cette valeur en action.

Nous souhaitons évoluer dans des sociétés apaisées.
Nous serons les premiers concernés par le réchauffement climatique. Les questionnements en cours s’attachent très peu à la dette climatique tandis que celles et ceux qui auront le moins contribué au dérèglement climatique seront celles et ceux qui paieront le tribu le plus lourd.

Dans notre monde, c’est une urgence.

On le sait : il est déjà tard. Mais, comme dit l’adage, mieux vaut tard que jamais. Il nous faut y aller. Avancer vers l’adaptation, l’atténuation. Engager le recul des troubles climatiques. Permettre une véritable justice sociale. Pourtant, l’état d’esprit actuel semble se résumer à ceci : lorsque l’on est bien chez soi, il faut fermer les yeux, fermer les portes, fermer les frontières, fermer les cœurs. Je trouve cela dommage. Je trouve cela triste. Parce que c’est toutes et tous, ensemble, en donnant une seconde, une minute, une heure de son temps, que l’on peut changer la donne.

Non, on ne peut pas faire l’impasse sur des projets engagés, sur les projets à impact. C’est juste une urgence.

D’un point de vue plus personnel, quelles sont tes priorités ?

Elles ont beaucoup bougé, avec le temps.

Aujourd’hui, je dirais de parvenir à construire une belle stabilité vie pro/vie perso.

Ce n’est pas une question à prendre à la légère. Je la considère même fondamentale. Si l’on est épanouie dans la vie personnelle, on peut se déployer dans la vie professionnelle, y puiser l’énergie pour les combats qui doivent être menés au quotidien.

Être au centre de sa vie et prendre soin de soi est essentiel.

Être bien en tant que moi, en tant que femme, en tant que noire, où que je sois est un travail quotidien, également. C’est ma résolution pour 2023. Rester une ressource pour les personnes qui m’aiment. Prendre soin des personnes qui prennent si bien soin de moi. Prendre soin de ce corps qui me supporte.

A quel point l’est-il, Ukuzola, personnel ?

C’est la synthèse de mon parcours familial, personnel, scolaire, en économie du développement, d’activiste, de mon parcours professionnel, qui a toujours été piloté par cette question du financement de l’autonomie, de l’autonomisation des populations vulnérables, rurales, défavorisées.

C’est la synthèse de mes engagements féministes, en France mais aussi sur le continent africain, en faveur d’un esprit critique, de cette capacité à développer un regard effectif sur soi, sur ses pensées, sur ce que l’on nous montre, ce que l’on nous dit.

Ukuzola, c’est vraiment la synthèse de tout cela.

Disposons-nous aujourd’hui de leviers pour changer le monde, « bouger les choses » comme on dit, qui n’existaient pas auparavant ? Outre les réseaux sociaux s’entend…

Je ne crois pas au messie qui vient changer le monde, comme dans les films de super-héros ou de super-héroïnes. Je crois que lorsque l’on a de grands rêves, il faut rassembler des personnes pour rêver ensemble, pour permettre de réaliser ce rêve.

Comme le dit l’adage, seul on vite mais ensemble on va loin. Seul, on s’épuise, le corps, le mental, le réseau, les relations.

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Il n’y a pas de nouvelle manière de changer le monde.

On peut s’inspirer de ce qui a été fait, de ce qui a marché, rassembler un écosystème autour de ces succès. Avant de réinventer la poudre, vérifier s’il en existe déjà une efficiente et apprendre à l’utiliser. Rester humble. Importer les bonnes pratiques. Les adapter. Rester à l’écoute de l’aventure que l’on vit. Essayer les recettes auxquelles on pense. Accepter que les idées puissent venir d’ailleurs, d’autres personnes, d’être inspirée par elles, traversée par elles. Rester humble. Essayer. Apprendre de ses erreurs. Essayer encore. Ensemble. Parce que l’on ne dispose pas de la science infuse.

L’état d’esprit actuel semble se résumer à ceci : lorsque l’on est bien chez soi, il faut fermer les yeux, fermer les portes, fermer les frontières, fermer les cœurs. Je trouve cela dommage. Je trouve cela triste. Parce que c’est toutes et tous, ensemble, en donnant une seconde, une minute, une heure de son temps, que l’on peut changer la donne.

Quelle femme es-tu ? Quelle femme rêves-tu d’être ?

Une femme empathique, à l’écoute de l’humain, de l’humanité. Une femme qui a envie de faire sa part. À ma mort, j’aimerais que l’on se souvienne de moi comme ayant participer à ce que le monde soit moins douloureux.

N’ayant pas de croyance particulière, je ne crois pas en un sens des choses, de la vie. La misère me semble aussi insensée que le reste. J’applique donc la morale du colibri : il faut que chacun fasse sa part pour créer un monde moins douloureux.

J’aimerais être le colibri qui convainc les autres animaux de faire leur part. Je ne connais pas la fin de la fable mais c’est cette fin que j’imagine.

J’espère porter soutien, appui et lumière à mes proches. Illuminer et convaincre le plus grand nombre de rendre le monde moins douloureux, c’est cette femme que je souhaite être.

Le mot de la fin ?

Pas grand-chose d’autre à ajouter que All power to all the people. Ce sera ça, mon mot de la fin.

Pour aller plus loin

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Vous êtes une société, un média, une organisation et vous souhaitez nous soutenir ?

vbondoma@outlook.fr

Pour participer à la campagne
Campagne Ulule/Ukuzola

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Crédit photos : Viviane Bondoma

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