Que sont ces « évolutions paramétriques » qui modifient nos droits, en silence, sans que n’intervienne le législateur ? En quoi le système français est-il spécifique ? Pourquoi dit-on de cette nouvelle réforme des retraites qu’elle impacte plus négativement les femmes ? Valérie Batigne, présidente de Sapiendo, spécialiste en la matière, propose son éclairage. Elle annonce aussi l’ouverture d’une ligne directe d’information à l’attention des femmes, du 6 au 10 mars.
Le point le plus important à mon sens est que chacun soit correctement informé, c’est-à-dire de façon claire, lisible et rapide, du montant de cotisations qu’il paie et des droits financiers qui sont générées par ces cotisations.
La transparence et la bonne compréhension des mécanismes sont la clé de l’acceptation sociétale.
Pourriez-vous expliquer, en quelques mots, en quoi le système de retraite à la française est spécifique, cette notion de solidarité qu’il sous-tend ?
Le système de retraite français est un système dit « par répartition ». En d’autres termes se sont les actifs d’aujourd’hui qui financent, par leurs cotisations retraite, les pensions des retraités actuels. Pour le dire autrement, vos cotisations retraite ne financent pas directement votre future retraite, votre future retraite sera financée par les cotisations des Français qui travailleront au moment où vous serez en retraite.
Ainsi, pour que le système se maintienne à l’équilibre, il est nécessaire qu’il y ait assez de cotisants (d’actifs) pour financer les pensions des retraités. Or, ce ratio se dégrade depuis une cinquantaine d’années. En 2020, la retraite d’un Français était en moyenne financée par le travail de moins de deux actifs (1,67 selon l’Insee).
Et il est prévu que ce ratio continue de se dégrader dans les années à venir.
Cette réforme est la quatrième. Chaque fois, le curseur se place sur la durée des annuités, sur l’âge légal de départ à la retraite. Existe-t-il d’autres curseurs sur lesquels on pourrait réformer le système de retraite par répartition ?
Oui, il existe potentiellement deux autres curseurs pour maintenir l’équilibre du système : celui des cotisations, qui pourrait être réévalué à la hausse, et celui du montant de pension qui pourrait être réévalué à la baisse. Mais ils ont l’inconvénient d’avoir des impacts négatifs sur le montant des revenus immédiats (rémunération) et /ou des revenus différés (pension de retraite).
On peut aussi envisager de laisser le choix de l’âge de départ (avec une limite basse tout de même) et d’appliquer de fortes variations sur le montant de la retraite, en fonction de l’âge de départ : plus il est bas, plus la retraite est minorée, plus il est tardif, plus la retraite est importante.
Enfin, il est important de savoir que chaque année, il y a des évolutions paramétriques et qu’en agissant sur ces paramètres (valeur d’acquisition des points, valeur de service des points de retraite complémentaire, taux de revalorisation des retraites de base, …), on modifie les droits à la retraite des Français sans passer par la loi.
Par conséquent, le seul moyen véritable de suivre l’évolution de ses droits à la retraite est de les calculer régulièrement afin de ne pas avoir de surprise au moment du départ.
Photo : L’Été de Florence. À lire ou relire.
Au vu de la perception du travail aujourd’hui – il n’est plus cet espace d’épanouissement qu’il a longtemps représenté – l’allongement du temps de travail est-elle la meilleure option pour améliorer le système ? Cette donnée peut-elle, selon vous, expliquer l’ampleur de la mobilisation contre les projets de réforme ?
En réalité, le projet de réforme en cours d’examen ne va pas changer radicalement la date de départ à la retraite de la grande majorité des Français.
En effet, pour les générations nées en 1973 et après, il est déjà nécessaire de valider 172 trimestres soit 43 annuités pour atteindre une retraite à taux plein. Et 9/10 Français attendent cette date, et non celle de l’âge légal, pour demander la retraite.
Ainsi, sans même de réforme, l’âge effectif moyen de départ à la retraite allait augmenter sensiblement dans les années à venir. C’est pourquoi, le rapport d’impact qui accompagne le projet de loi mentionne qu’en moyenne, l’âge de départ va seulement reculer de sept mois et pas de deux ans.
Il n’en reste pas moins que la retraite étant un sujet individuel, certaines catégories de Français auront effectivement à travailler deux ans de plus.
Que peut-on faire ? Est-il possible de mettre en place un système de retraite non sexiste ?
Plusieurs associations et syndicats s’indignent de ce que cette nouvelle réforme soit plus défavorable aux femmes. Est-ce une position que vous partagez ?
En effet. Certaines femmes portent une grande partie de l’effort d’augmentation de la durée d’activité . Ce sont notamment les cinquantenaires qui ont eu des enfants tout en travaillant, car elles auraient eu tous leurs trimestres pour le taux plein à 62 ans sans réforme et, avec la réforme, elles vont devoir travailler jusqu’à 64 ans.
Pour le dire autrement, les femmes sont ici victimes de leurs progrès.
Les femmes nées fin des années 60 et après, valident en moyenne plus de trimestres que leurs aînées car elles ont des carrières de plus en plus complètes. Ainsi, elles allaient pouvoir commencer à partir en retraite avant les hommes, ce qui n’était pas le cas jusque-là. Avec le projet de réforme, qui recule l’âge légal à 64 ans, elles seront plus souvent perdantes que les hommes.
Entre le 6 et le 10 mars 2023, Sapiendo ouvre sa hotline d’information retraite gratuitement à toutes les femmes qui ont des questions notamment sur le projet de réforme des retraites. C’est la 3e année que nous réalisons cette opération à l’occasion de la journée internationale du droit des femmes.
La mise en place d’un index senior pour les entreprises de plus de 300 salariés est inscrite dans ce nouveau projet de réforme des retraites. Sera-ce de nature à changer les mentalités, à permettre d’embaucher des salariés plus expérimentés, souvent plus « chers » pour les entreprises, à lutter contre ce qu’il est coutume de nommer « l’invisibilisation des femmes de plus de 50 ans » ?
Nous pouvons l’espérer !
D’un point de vue général, à chaque fois que l’on a reculé l’âge légal de départ à la retraite, cela a eu pour conséquence d’améliorer le taux d’emploi des seniors. On peut d’ailleurs constater que dans les pays où l’âge de départ à la retraite est déjà de 65 ans voire plus, le taux d’emploi des seniors est plus élevé qu’en France.
Les femmes sont ici victimes de leurs progrès
Quelle serait, selon vous, le système le plus favorable au plus grand nombre, dans les conditions sociétales que nous connaissons ?
Difficile d’envisager un système unique qui satisferait chaque Français.
Le point le plus important à mon sens est que chacun soit correctement informé, c’est-à-dire de façon claire, lisible et rapide, du montant de cotisations qu’il paie et des droits financiers qui sont générées par ces cotisations.
La transparence et la bonne compréhension des mécanismes sont la clé de l’acceptation sociétale. Il y a encore aujourd’hui beaucoup de chemin à parcourir.
Sapiendo essaie d’apporter sa pierre à l’édifice.
Pour aller plus loin
Le point sur le projet de loi en discussion
depuis mardi 6 février –
(Vie publique)
Sapiehttps://www.sapiendo-retraite.frndo propose une hotline d’information gratuite ouverte pour les femmes
Sapiendo est très sensible à la question des inégalités femmes / hommes à la retraite et a ainsi fait plusieurs propositions pour réduire ces écarts qui restent encore très importants (40% d’écart entre la pension moyenne des femmes et des hommes).
Parmi ces propositions, Sapiendo suggère de créer des « boosters retraite » à destination des femmes qui reprennent leur activité professionnelle après une interruption de carrière liée à la vie de famille.
Pour découvrir les autres propositions de Sapiendo pour améliorer la situation des femmes il suffit de se rendre sur notre site.
(https://www.sapiendo-retraite.fr/sapiendo-acteur-de-la-retraite/sapiendo-milite/3i-propositions-sapiendo-retraite-femmes).
Enfin entre le 6 et le 10 mars 2023, Sapiendo ouvre sa hotline d’information retraite gratuitement à toutes les femmes qui ont des questions notamment sur le projet de réforme des retraites.
C’est la troisième année que nous réalisons cette opération à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes.
(https://www.sapiendo-retraite.fr/sapiendo-acteur-de-la-retraite/sapiendo-milite/sapiendo-informe-les-femmes-sur-leur-retraite)
Osez, CAPITAINEs. 