Flore – Permettre le monde qui vient, à cette jeunesse engagée de se déployer

Greta Thunberg est l‘un des fleurons de cette génération engagée, déterminée à porter sa pierre à l’édifice d’un nouveau monde. C’est possible. C’est son credo. Ce sont les premiers mots du documentaire Bigger than us. Notre rôle, selon Flore Vasseur, réalisatrice, autrice, est de soutenir cette énergie qui s’exprime, de la propager dans tous les milieux, de se poser en garde-fou, en protection de cette jeunesse qui s’anime, qui s’investit. « Ce qui importe, c’est d’être utile ».

S’engager, c’est être présent, être vivant…

Si vous deviez vous décrire en trois mots, lesquels seraient-ils ?

Maman, activiste, amoureuse.

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Institut d’études politiques, HEC, industrie du luxe… Comment passe-t-on de créatrice de start-up aux États-Unis à écrivaine, journaliste, réalisatrice, enquêtant sur les sphères de pouvoir, leur rouages, les moyens de les contourner ?

Parce qu’on se cogne à la vie ou que la vie vous cogne dessus.

Pour moi, ça a été l’expérience physique du 11 septembre 2001, à New York. J’étais cheffe d’entreprise, très jeune, très tôt, dans une start-up Internet, à croire que je maîtrisais tout. Et cet événement est venu déchirer l’image et toutes ces croyances.

Je crois que j’ai eu l’intuition de ce qui était en cours : l’effondrement de notre système.

Ce jour-là, j’ai vu la conséquence de l’injustice. J’ai vu le désarroi. J’ai ressenti de la honte. J’étais l’enfant de ce système, convaincue de tout savoir, de tout comprendre, de tout maîtriser. Je n’avais fait qu’appliquer ce que l’on m’avait appris à l’école. J’étais une enfant sage, qui avait appliqué toutes les injonctions, qui avait tous les droits.

Ma vie d’écrivaine m’a permis de surnager, de transformer les déconvenues, les désillusions en matières créatives.

Ce jour-là, ce 11 septembre 2001, je me suis effondrée. Je ne voulais plus être une femme d’affaire. Je voulais comprendre le monde, comprendre ce que j’avais ressenti, ce sentiment de honte. La servitude, le pouvoir, la liberté, l’humain face à sa solitude, face à son impuissance, sa place dans un monde dans lequel il se sent mal, quelque que soit l’époque, ces questions reviennent toujours. Je l’ai appris de mes lectures. Je me suis récupérée en commençant à écrire. Ma vie d’écrivaine m’a permis de surnager, de transformer les déconvenues, les désillusions en matières créatives.

Quel que soit le format, le plus important, c’est l’histoire que vous racontez

Internet a constitué le premier terrain sur lequel vous avez choisi de vous engager. Pourquoi ?

À l’époque, c’était le truc. À bien des égards, c’était d’ailleurs l’opposé de ce que l’on vit aujourd’hui. C’était la fin du siècle. Il y avait pas mal d’angoisses sur ce changement de millénaire.

Vous vous souvenez cette chanson de Prince, 1999 ?

Il y avait aussi beaucoup d’espoirs. Internet arrivait et promettait de ringardiser le monde. Il promettait un espace de parole et de pouvoir pour les jeunes. Il promettait qu’ils pourraient révolutionner le monde. C’était cela Internet, au début : un vent de liberté, de confiance faite aux jeunes. Très vite, cela a été rattrapé par le business, la spéculation, les mauvaises raisons…

C’est une question que je me pose souvent : pourquoi on tient ? Comment on tient ? Aujourd’hui, je pense que c’est lorsqu’on se lie, qu’on se connecte à quelque chose de plus grand que soi.

Ce qu’il reste de nos rêves, paru en 2019, raconte l’histoire d’Aaron Swartz, enfant précoce devenu légende d’Internet, penseur du créative common, de la liberté de création numérique, disparu en 2013 – il s’est suicidé, quelques jours avant un procès fédéral, intenté par le FBI . L’avez-vous rencontré ?

Aaron est un émerveillement et un désespoir. J’ai croisé sa route en 2009/2010. Je le lisais. Il me rassurait. C’était quelqu’un qui, comme moi, mais puissance 1000, doutait, remettait en cause ce qu’incarnait l’Amérique. Il avait vu l’envers du décor. Il essayait de comprendre, de le changer. Lorsqu’il s’est suicidé, j’ai eu l’impression de perdre un ami, alors que l’on ne s’est jamais rencontré. J’ai voulu savoir ce qu’il s’était passé, comprendre les raisons de sa décision. C’était un génie pour une quantité de personnes très importantes, des milieux politiques, économiques, de la Silicon Valley. Pourquoi a-t-il décidé de partir ?

Mettre son corps au-travers de la route et à se dire que quelque choses passe au-travers de nous

C’est d’ailleurs une question que je me pose souvent : pourquoi on tient ?

Comment on tient ?

Aujourd’hui, je pense que c’est parce qu’on se lie, qu’on se connecte à quelque chose de plus grand que soi. Lorsque l’on est capable de mettre son corps au-travers de la route et que quelque chose passe au-travers de nous. Je ne sais pas si je parviens à le faire. C’est précisément ce qu’affirme Edward Snwoden (NDLR : Flore a réalisé le documentaire Meeting Snowden, en 2017) : il faut poser sa brique. Pour permettre à un autre de poser la sienne par-dessus.

Tout ce qui nous arrive vient d’un même problème et ne trouvera sa solution que dans un mode interconnecté
Bigger than Us

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Vous avez eu ces mots à Science po, en janvier dernier, en marge d’une manifestation hommage à Stéphane Hessel, auteur de l’ouvrage Indignez-vous : « 80% de la jeunesse mondiale n’habite pas en Occident. Je trouve formidable de s’y intéresser. Leurs sociétés se sont déjà effondrées. Ils sont donc en avance de phase… ». Dans Bigger Than Us, vous choisissez d’offrir plus directement la parole à la jeunesse, à ces jeunes d’une vingtaine d’année, engagé.e.s dans le changement en vue de la création d’un nouveau monde. Qu’est ce que l’indignation, l’engagement, aujourd’hui ? Cette jeunesse en est-elle le meilleur vecteur, la meilleure expression ?

Nous rentrons dans une séquence inédite, de très grande rigidité des pouvoirs en place à l’égard de toute personne qui aurait envie d’agir, de s’impliquer, notamment la jeunesse. Nous sommes dans la suite de cet effondrement, désormais très visible, pour les entreprises, les élus, les gouvernements. Mais nous sommes dominés par l’ego. La difficulté à perdre, cette incapacité à admettre que l’on s’est trompé, que l’on n’est pas tout puissant, c’est avant tout un problème d’ego. Et de peur. Ces personnes qui nous gouvernent sont l’incarnation de ce que nous sommes. Nous sommes toutes et tous responsables de cela.

Ces personnes qui nous gouvernent sont l’incarnation de ce que nous sommes. Nous sommes toutes et tous responsables de cela.

Faute d’accepter de perdre, on va casser toutes les voix qui pourraient mettre en évidence la violence du système. On manque de grandes personnes, de grandeurs d’âmes à la tête des instances qui nous dirigent. On manque de vrais positions d’adultes. On semble vivre dans une cour de récréation – ce qui, d’ailleurs, est assez désobligeant pour les cours de récréation. Les adultes au pouvoir ne sont pas les grandes personnes de l’histoire. C’est comme s’il fallait opérer un retournement…

Aujourd’hui, le monde a besoin de personnes conscientes et responsables. Ces jeunes sont l’inverse des femmes et hommes de pouvoir. Ce sont les vrais grandes personnes de l’affaire. Ils sont connectés à quelque chose de plus grand qu’eux. D’ailleurs, lorsqu’on leur pose la question, ils répondent: ‘c’est plus fort que moi’.

Ils sont capables de le faire, parce que leur vie, ou eux-mêmes, ont claquemuré l’ego. Ils sont des lumières venues d’ailleurs. Avec d’autres points de vue.

On a mal enseigné ce qu’est l’engagement, aujourd’hui. On communique trop de culpabilité et pas assez de joie, d’amour.
Toute la société nous encourage à à aller vers la séparation, la prédation, la compétition…

Indignez-vous, Science po, 17 janvier 2023

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Qu’est-ce que la liberté, aujourd’hui ?

C’est le sujet. Au nom du confort, on a rogné sur toutes nos libertés.

Aujourd’hui, l’algorithme rogne notre liberté de penser, de rêver, en choisissant nos lectures, en fabriquant nos pensées. Il y a toute une industrie – l’industrie du big data – qui vaut 50 000 trilliards, qui est là pour maîtriser nos pensées, exploiter nos pensées, nos envies…

Les vrais moments de liberté sont des moments sont rares. C’est presque de la subversion.

La liberté existe, cependant. Dans les livres. Dans les conversations non médiées, directes. Dans les connexions non connectées. On la trouve dans le lien. La liberté, c’est quelque chose de totalement éphémère. C’est festif, joyeux, accidentel, c’est rare. Tout le reste est un océan de contraintes, jusqu’à la prochaine liberté. Il ne faut pas se leurrer : tout est extrêmement maîtrisé, contrôlé. Et pas par nous.

Les vrais moments de liberté sont des moments sont rares. C’est presque de la subversion. Il faut s’arracher des épreuves, s’arracher au confort auquel nous sommes drogués.

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Ne faudrait-il pas, plus simplement, revoir la notion de confort ?

Tout à l’heure, pour me décrire, j’ai indiqué, dans cet ordre: maman, activiste et amoureuse. Ce sont les piliers de mon confort. Ce sont des piliers d’ancrages. En même temps, sur chacun de ces points, je suis constamment secouée.

En tant que maman, je suis constamment face au désarroi, aux questionnements de mes enfants, à la responsabilité de les avoir mis au monde dans ce monde-là. Ce n’est pas doux, d’être parent aujourd’hui. C’est encore moins doux d’être enfant. On ne peut pas être serein, en tant que parent, aujourd’hui, sauf à passer à côté de ses enfants, à ne pas penser à eux. Être parent, aujourd’hui, c’est accepter de n’avoir pas de réponse. Il faut pouvoir l’assumer vis-à-vis de ces enfants qui vous regardent, en espérant être rassurés.

Être activiste, c’est être à contre-courant.

En tant qu’amoureuse, je suis tout le temps mise au défi. Une relation amoureuse, c’est cela: être mise au défi, tout le temps. En même temps, ce sont des moments où je me réalise. Ce sont de grandes aspirations vers le haut.

Tout cela n’a rien de matériel. C’est un rapport à la vie, à l’amour. C’est un rapport à quelque chose de plus grand que soi.

Quel est notre rôle, en tant qu’adulte ? Comment soutenir cette jeunesse qui s’engage, accompagner ce monde qui vient ?

Je pense que nous qui avons le pouvoir d’entrer ici et là, devons jouer les gardes fous.

Nous devons entourer, protéger cette énergie de la jeunesse, lui permettre de se déployer. Nous devons tout faire pour leur permettre de réaliser leurs expériences. Se mettre en protection entre eux et ces forces conservatrices.

Nous devons être une force crédibilisante. Amener leur énergie dans tous les milieux.

Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Vous y revenez toujours, à plus grand que soi. Ce documentaire, Bigger than us ressemble à un aboutissement. Quel est son avenir ?

Il se passe vraiment quelque chose, avec ce film, du fait qu’il soit cela, un film, un objet artistique.
Il crée une envie d’y aller.
Il ne joue pas sur la peur.
Quel que soit le niveau social, la nationalité, les gens pleurent au même endroit et se demandent, à la fin, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Je voudrais suivre les sept protagonistes du film, savoir où ils en sont aujourd’hui. Je voudrais continuer de valoriser cette jeunesse qui se lève et qui nous élève et essayer de trouver un chemin dans cette séquence qui semble bien sombre, de durcissement des autorités à leur égard. Aujourd’hui, ce que je souhaite, c’est soutenir ce qui est en train de se passer, soutenir le désir de vie, d’engagement de la jeunesse, prendre part à ce qui vient.

Science Po a diffusé le film. Cela a inspiré et rayonné. Nous venons de signer un partenariat avec le Ministère de l’Enseignement supérieur. Le film sera projeté, débattu, dans toutes les facultés de France.

Bigger than us questionne la vie des adultes. Il interroge un leg. Certains n’aiment pas être interpellés de la sorte. Ce n’est pas grave. Ce qui m’importe, c’est d’être utile. Que quelqu’un d’autre, désormais, pose la brique au-dessus de Bigger.

Tout ce qu’il faut aujourd’hui, c’est une bouteille d’eau, un sourire et savoir dire, Salam.

Et toi ?

Bigger than Us

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Découvrir, voir ou revoir Bigger than Us

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