Marie – A la fin, il ne restera qu’elle… (1/2)

Marie a 40 ans. Elle est infirmière depuis seize ans. Formée à Bordeaux, elle a travaillé au Centre de lutte contre le cancer d’Aquitaine avant de s’engager en tant que militaire dans le Service de santé des armées, il y a un peu plus de treize ans. Marie accompagne ses patients. Elle leur assure, selon ses termes, « le confort ». Cette intimité des derniers instants interpelle, inquiète, interroge. Marie répond donc à toutes les questions, avec clarté, simplicité, sensibilité. Comment quitte-t-on le monde, aujourd’hui ? Qu’est-ce, au dernier moment, qui prime : la peine ou la paix ? Comment apprivoise-ton la mort ? Part-on comme l’on est venu, seul ?Réponses en deux mouvements dont voici la première partie.

Un métier

Infirmière en soins palliatifs. Peux-tu expliquer en quoi cela consiste précisément ?

Je ne suis pas infirmière spécialisée en soins palliatifs mais Infirmière en Soins Généraux (ISG). En France, notre formation initiale nous permet de travailler dans tous les domaines (soins généraux, psychiatrie, santé publique, libéral etc …) et dans tous les services sans distinction. C’est au cours de notre carrière que nous pouvons nous former plus spécifiquement dans tel ou tel domaine, comme celui des soins palliatifs, selon nos envies/ affinités/ notre parcours/ notre sensibilité, dans le cadre de la formation continue. C’est mon cas et depuis 2012, j’ai un Certificat Interdisciplinaire de Soins Palliatifs Accompagnement Douleur (CISPAD).

Les soins palliatifs permettent d’accompagner les patients vers la fin de leur vie le plus sereinement possible. Cela comprend bien entendu les soins techniques (que l’on essaie de réduire au maximum dans ces cas-là) mais surtout les soins de nursing et de confort, les soins de support. De tels soins prennent en compte le patient en premier lieu (ses besoins, ses envies, ses peurs, ses angoisses, ses désirs, sa temporalité etc …) mais aussi un élément primordial qui est sa famille/ son entourage. C’est un échange permanent pour faire en sorte que le patient soit le plus serein possible pour cette ultime échéance et cela inclut la prise en charge de la douleur, qu’elle soit physique bien entendu (part la plus visible, accessible) mais aussi psychique (part parfois plus difficile à déceler).

« C’est un échange permanent pour faire en sorte que le patient soit le plus serein possible pour cette ultime échéance… »

Les soins palliatifs peuvent se pratiquer dans tous les services hospitaliers. La principale difficulté est la formation des soignants, qui, au sein des services généraux, ne sont pas toujours à l’aise avec ces soins (démarche curative initiale, manque de formation, vécu personnel, peur de la mort, etc …). Ils peuvent également se pratiquer à domicile, avec un entourage présent et confiant et des professionnels de santé en général formés (réseau d’Hospitalisation À Domicile (HAD) par exemple ou Equipes Mobiles de Soins Palliatifs (EMSP)) qui assurent un suivi quotidien. Il existe enfin des centres/structures/ services spécialisés pour les soins palliatifs, où le personnel soignant est formé et a choisi de plein gré cette « spécialisation » si particulière. Dans ces structures, tout est pensé pour que le patient et son entourage soient la priorité (horaires de visite très élargis, soins différés selon les possibilités/ envie du patient, discrétion …). Le nombre de patients pris en soins par les soignants est réduit comparativement à un service classique, les soins sont effectués en binôme et surtout le personnel s’adapte au patient (contrairement à un service d’hospitalisation conventionnel où bien souvent le patient doit s’adapter au service).

Environ quelle proportion de la profession représentez-vous ?

Je n’en ai aucune idée.

Ce métier, est-ce un choix ou la conséquence de capacités particulière d’écoute, de soin ?

Concernant le métier en général, en ce qui me concerne, c’est un choix, une passion.

« A mon sens, et contrairement à ce que l’on peut penser de prime abord, la communication fait la majeure partie du soin. Prendre le temps d’expliquer les choses, d’écouter, permet de créer une relation dans laquelle le patient se sent entendu, compris, considéré… »

Pour ce qui est des capacités particulières d’écoute ou de soin, il est difficile d’avoir un avis objectif et distancié sur moi-même ! Cela dit, mon entourage semble décrire ces capacités me concernant. Et je commence seulement depuis quelques mois à en prendre conscience au travers de situations particulières. Je pense plutôt que je suis plus attachée à la communication dans les situations de soins qu’au soin en lui-même, au « savoir-être » plutôt qu’au « savoir-faire », comme on nous apprend en formation. Le savoir-être est primordial pour établir une connexion avec le patient. Le savoir-faire, n’importe qui peut l’acquérir. A mon sens, et contrairement à ce que l’on peut penser de prime abord, la communication fait la majeure partie du soin. Prendre le temps d’expliquer les choses, d’écouter, permet de créer une relation dans laquelle le patient se sent entendu, compris, considéré, et c’est grâce à cette relation de confiance qu’il pourra se détendre et se sentir rassuré. Et finalement d’accepter les soins, même les plus difficiles/ désagréables/ douloureux !

Pour l’écoute et la communication, j’ai beaucoup appris de ma grand-mère ces dernières années (elle a 96 ans et ne parle plus mais est présente et est en contact avec nous à sa manière). Je me suis rendue compte que, grâce à elle, j’ai modifié mes pratiques pour m’adapter au plus proche des patients. Je suis beaucoup plus vigilante aux échanges non verbaux et cherche le mode de communication le plus adapté à chaque personne. En ce sens, j’observe plus. Cela est particulièrement vrai avec les personnes âgées et avec les personnes ne parlant pas français ou le maîtrisant mal. Il y a toujours une manière d’entrer en relation : à moi de trouver laquelle.

Ton activité professionnelle impacte-t-elle ta vie personnelle ?

Évidemment ! Il est parfois difficile de rentrer chez moi et de ne pas repenser à tel ou tel patient, tel ou tel soin, que ce soit positif ou négatif. Ou encore, il m’est déjà arrivé de rappeler mes collègues parce que j’avais oublié de leur transmettre une information importante, de rester avec le sentiment d’avoir oublié de dire ou faire quelque chose, de me réveiller en sursaut pour cela.

Comment apprend-t-on à gérer cela ? Comment apprend-t-on à prendre de la distance ?

D’abord, quitter physiquement l’hôpital m’aide à cela, le trajet pour rentrer chez moi, même s’il est assez court, me permet de prendre de la distance physique avec ma journée de travail.

« Les gens disent souvent « vous vous blindez ». Personnellement, je n’aime pas vraiment cette expression où l’on semble perdre toute sensibilité humaine. Je préfère dire qu’on apprend simplement à gérer nos émotions pour éviter de se laisser submerger… »

Ensuite, ma tenue de travail a bien entendu une fonction première d’hygiène mais elle a aussi, à mon sens, une fonction « protectrice » dans la distance relationnelle. Les gens disent souvent « vous vous blindez ». Personnellement, je n’aime pas cette expression où l’on semble perdre toute sensibilité humaine. Je préfère dire qu’on apprend à gérer nos émotions pour éviter de se laisser submerger, ne pas les laisser transparaître et surtout pour continuer à légitimer cette confiance que le patient place en nous. C’est une façade pour assurer les soins avec professionnalisme, mais cette façade peut aussi se fissurer dans l’intimité du chez soi. On ne peut pas « ramener tous les patients à la maison « .

« Porter un regard non jugeant et bienveillant… »

Ton métier a-t-il changé ton regard sur l’autre ?

Assurément ! Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer. Je continue à apprendre des relations humaines chaque jour. Je vois aussi les situations particulières des patients et de leur famille, belles ou moins belles, et j’essaie de porter un regard non jugeant et bienveillant sur chacune (même si c’est loin d’être facile à faire en réalité).

A-t-il changé la manière dont tu construis tes relations, dont tu entres en relation ?

La manière dont j’entre en relation : oui ! Mes expériences professionnelles dans plusieurs hôpitaux, dans l’Hexagone comme à l’étranger, m’ont appris à m’adapter et me réadapter aux patients, aux situations, aux lieux, aux langues, aux cultures… Et comme je le disais, ma grand-mère m’a aussi particulièrement appris (à son insu) sur plusieurs points concernant la relation…

« Relativiser et surtout me dire qu’il n’y a pas de temps à perdre, que je dois m’entourer de personnes bienveillantes, de relations constructives, que je dois aussi prendre soin de moi et profiter de ce et ceux qui m’entourent… »

Sur la manière dont je construis mes relations,  je pense que oui. Quand on voit des situations difficiles, critiques, des familles déchirées, des personnes seules, des situations injustes, ou, à l’inverse, des familles unies, des personnes entourées et accompagnées, cela remet quand même régulièrement les idées en place sur nos relations, notre vie, nos aspirations profondes. Personnellement, cela me permet souvent de relativiser et surtout de me dire qu’il n’y a pas de temps à perdre, que je dois m’entourer de personnes bienveillantes, avec des relations constructives, que je dois aussi prendre soin de moi et profiter de ce et ceux qui m’entourent.

« Il n’y a pas de temps à perdre, je dois m’entourer de personnes bienveillantes »

Les personnes que tu accompagnes

Globalement, à quelle tranche d’âge appartiennent les personnes que tu accompagnes ?

Il s’agit d’adultes, de tous âges mais particulièrement de personnes âgées.

Confirmes-tu ou l’infirmes-tu la solitude des personnes âgées en fin de vie ?

J’aurais plutôt tendance à la confirmer mais d’une manière plus générale que concernant la fin de vie. Mais il y a souvent des situations de grande détresse et le recours à l’assistante sociale et/ou à un centre de convalescence est indispensable pour envisager un retour à domicile plus serein. C’est dans ces cas-là que je me rends compte de l’ambivalence des personnes âgées, qui veulent presque à tous prix rester chez eux le plus longtemps possible, même seules, qui refusent les aides jusqu’à la dernière limite quitte à s’épuiser, qui veulent garder leur autonomie quitte à parfois se mettre en danger (chutes itératives etc …).

Les personnes que tu accompagnes/que tu as accompagnées sont/étaient-elles seules ?

J’ai été confrontée à toutes sortes de situations. L’hôpital est un microcosme de la société donc on rencontre vraiment de tout. Il y a des personnes seules. Il y a des personnes accompagnées, parfois même de manière remarquable, par leur famille et leur entourage. Et il y a aussi (c’est plus dur à déceler), des personnes qui sont entourées aux derniers moments mais pas par authenticité, pas pour de « bonnes » raisons (que penser par exemple des enfants qui viennent rendre visite à un proche mais n’ont aucun lien avec lui depuis des années, voire des dizaines d’années ? Le font-ils par obligation ? Pour ne pas regretter ?). Nous ne connaissons des situations familiales que ce que le patient nous en dit mais c’est sa version et l’histoire est incomplète sans l’autre version. Cela se justifie peut-être, peut-être pas. Nous devons accompagner cela malgré tout. Et garder le patient au centre de nos attentions, de notre accompagnement, quoi qu’il se soit passé dans sa vie.

Comment se crée la confiance ?

Elle se crée essentiellement sur la communication, à mon sens. Et par l’expérience. Un patient peut se sentir rassuré, donc en confiance, par ce qu’il perçoit de nos « compétences techniques », aussi bien que par ce qu’il perçoit de nous, par ce qu’on « dégage » pour lui d’assurance ou non dans nos réactions face à telle ou telle situation (stress, panique, agacement… ou au contraire calme, organisation, persévérance …).

« A nous  de faire en sorte qu’ils se sentent toujours considérés et pris en compte »

Ensuite, pour affiner cette notion de communication, l’écoute est primordiale ainsi que l’absence de jugement. Elle se crée aussi sur le temps : celui qu’il nous faut pour aborder avec le patient certains aspects de son intimité familiale, celui qu’il faut au patient pour entendre les choses, pour oser s’ouvrir et se livrer à des inconnus aussi. Nous entrons directement dans l’intimité des gens lorsqu’ils sont hospitalisés, physique bien sûr, mais aussi psychique. Cela les rend vulnérables. A nous de ne pas les laisser ressentir cela mais de faire en sorte qu’ils se sentent toujours considérés et pris en compte.

(…)

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