La réalisatrice Euzhan Palcy a été récompensée d’un Oscar d’honneur, à Los Angeles, samedi 19 novembre 2022. Dans un discours teinté d’humour et d’amertume, elle explique son silence, la « volonté perdue » de saisir la caméra, son « arme miraculeuse », pour porter à l’écran une vision de l’humanité. Traduction du discours prononcé pour l’occasion.
« Mes histoires ne sont pas noires, elles ne sont pas blanches : elles sont universelles. Elles sont emplies de toutes les couleurs ».
(Introduction sur son Anglais, son accent, sur son discours noté sur les cartes qu’elle a en main)
Merci, chers membres de l’Académie des Gouverneurs.
Merci à toutes celles et ceux qui sont présents, ce soir.
Je voudrais adresser des remerciements particuliers à deux brillantes étudiantes, spécialement venues de la Martinique, mon île de naissance, Erin et Salomé.
Il y a quelques années, une école a été renommée École Euzhan Palcy. J’ai souhaité que des étudiants de cette institution m’accompagnent, ce soir, ainsi que ceux d’une autre institution, le lycée Schoelcher de la Martinique. Si je fais des films, c’est pour cette génération et les suivantes. Il me semblait donc fondamental de soutenir ces jeunes, qu’ils soient présents, ici, avec nous, avec vous, qu’ils assistent à ce moment, pour qu’en rentrant, ils témoignent de ce qu’ils ont vu, de ce qu’ils ont vécu, les personnes qu’ils ont rencontrées, l’importance de cette expérience pour eux.
Si je fais des films, c’est pour cette génération et les suivantes. Il me semblait donc fondamental de soutenir ces jeunes, qu’ils soient présents, ici, avec nous, avec vous, qu’ils assistent à ce moment, pour qu’en rentrant, ils témoignent de ce qu’ils ont vu, de ce qu’ils ont vécu, les personnes qu’ils ont rencontrées, l’importance de cette expérience pour eux
Quand je vous regarde toutes et tous, amis, pairs, collègues, mentors, fabricants de Mémoires, il me vient à l’esprit un proverbe africain : si tu veux aller vite, va seul. Si tu veux aller loin, trouve les meilleurs compagnons de route.
Vous le savez bien : personne n’atteint ce niveau seul. Je ne serai pas là sans l’amour et la sagesse de toutes celles et ceux qui m’ont rejoint dans mon voyage. Mon cœur explose de gratitude à la pensée de ma grand-mère, Camille, de mon père Léon, de ma mère Mireille, de ma marraine, de mes parrains, Maya Angelou, Aimé Césaire et François Truffaut.
Merci à tous les mentors qui m’ont encouragés, à Robert Redford, qui m’a invitée à rejoindre l’Institut des réalisateurs du festival Sundance en 1985. Là-bas, j’ai pu faire mon marché et rassembler l’équipe qui m’a aidée à réaliser Une saison blanche et sèche. Je remercie les actrices, les acteurs et les équipes de tous mes films et plus spécialement celles et ceux de Rue Cases Nègres, de Les mariés de l’Isle Bourbon et de Une saison blanche et sèche.
Merci aux publics du monde entier sans qui mes films ne seraient pas considérés comme des classiques, aujourd’hui.
Je vous aime, toutes et tous.
Je serai ingrate si j’oubliais la source de ma bonne fortune : Dieu Tout-Puissant.
On m’a souvent demandé pourquoi j’avais eu besoin de prendre du recul par rapport ma vocation. La réponse est : parce qu’il m’était vital de prendre de la hauteur pour mieux résister. Si je n’ai pas fait de films durant toutes ces années, c’est parce que j’ai décidé de me taire. Je me suis tue parce que j’étais épuisée.
J’étais fatiguée de m’entendre dire que j’étais une pionnière. J’étais fatiguée d’être honorée pour avoir été la première d’une longue série de « premières », tout en ne disposant pas des moyens de faire les films que j’étais appelée à faire.
À travers les années, des amies chères – parmi lesquelles, Ava Duvernay, Julie Dash, Neema Barnette, Kasi Lemmons, Gina Prince-Bythewood et d’autres, ont fini par me baptiser La Reine. Elles se sont faites un devoir de propager mes œuvres. Elles m’ont longtemps félicitée d’avoir su briser les barrières.
J’accueille ces éloges avec beaucoup d’humilité.
Pourquoi m’honorent-elles à ce point ?
Parce qu’elles se sont reconnues, se sont identifiées dans mes films et dans tout ce qu’ils incarnaient.
Parce que je suis une cinéaste.
Parce qu’elles savent les périples et les dangers, auxquels j’ai dû faire face en allant tourner en Afrique du Sud, pour dénoncer les crimes de l’apartheid, allant jusqu’à dissimuler des cassettes dans mes sous-vêtements, tant il était nécessaire de dire la vérité sur les violences.
Je ne connais pas la peur. C’est en cela que je souhaite inspirer les nouvelles générations, à travers des jeunes gens tels que mes filleuls Manuel et Andrew, de parfaits artisans de la paix.
En définitive, quel est l’utilité de ce discours tandis que je ne suis pas derrière ma caméra, à faire ce pour quoi Dieu m’a mise sur terre ? Saisir ma caméra, mon « arme miraculeuse » comme je l’appelle, pour porter la vision de notre humanité collective à l’écran.
Avec ma caméra, je ne « shoote » pas, je soigne.

Alors pourquoi ai-je conservé le silence ?
Parce que je ne supportais plus d’entendre cette rengaine : les Noirs ne sont pas rentables. Les femmes ne sont pas rentables. Les femmes noires ne sont pas rentables.
Allons… Voyez ma sœur, Viola Davis, debout là, à coté de moi. Nanisca !
Les Noirs sont rentables. Les femmes sont rentables. Les femmes noires sont rentables. N’est-ce-pas Chadwick ?
Ce soir, je suis aussi récompensée pour ce que j’ai toujours martelé : l’impossible est possible. Ce soir, vous m’insuffler le bonheur et l’envie de crier ces mots de nouveau :
Moteur, son… Action !
Il s’agit de mon « cri de joie ». Un cri d’inclusion, de fierté, de bonheur.
On m’a beaucoup demandé pourquoi j’avais eu besoin de prendre du recul par rapport à ma vocation… La réponse est : parce qu’il m’était vital de prendre de la hauteur, pour mieux résister.
Je tiens à féliciter l’Académie pour son travail de fond, pour mener au changement au au sein de notre industrie, pour avoir ouvert, pour ouvrir les portes qui étaient fermées à la vision et aux idées que j’ai défendues si longtemps. Cela m’encourage à élever la voix de nouveau, à vous offrir des films de tous les genres, tels que j’ai toujours voulu faire, à ma façon, sans que ma voix ne soit censurée ou réduite au silence.
Mes histoires ne sont pas noires, elles ne sont pas blanches : elles sont universelles. Elles sont emplies de toutes les couleurs.
Merci à toutes et tous.
Merci à cet homme magnifique, Oscar. Mon Oscar. Il brille si fort.
Tu es un symbole, Oscar. Un symbole d’espoir, destiné à toutes les jeunes femmes, comme Erin et Salomé, à tous les enfants, tous les petits garçons et les petites filles, de toutes les couleurs, qui rêvent d’un jour te soulever fièrement, Oscar.
J’ai parlé, plus tôt, d’Andrew et Manuel, à la fois réalisateurs et activistes.
Ils incarnent l’esprit et les idées que je partage avec vous.
Ils m’ont choisie, en 2016, pour être la marraine d’un mouvement qu’ils ont crée pour initier la paix, l’amour et l’unité, The Connect movement. Ils se battent, passionnément, pour relier les êtres humains, pour favoriser un rapprochement entre les uns et les autres, pour nous rendre plus proches les uns des autres, avec ce geste simple, paumes contre paumes, connectés.
En ces temps où nous sommes si divisés, pas simplement ici, mais dans le monde entier, ce geste simple représente les valeurs dans lesquelles je crois, celles pour lesquelles je me bats, avec ma caméra, avec ma vie, avec ma voix.
Élevons nos voix ensemble et faisons de mon cri de joie, un cri de ralliement :
Moteur, son… Action !
(Conclusions et salutations diverses notamment à l’attention du créateur de sa tenue, Georges Hobeika)
Élevons nos voix ensemble et faisons de mon cri de joie, un cri de ralliement :
Moteur, son… Action !
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